vendredi 30 mars 2018

"Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi"

Commentaire

La Critique de la raison pratique (1788) est un ouvrage d'Emmanuel Kant (1724-1804) portant sur l'une des questions que pose le fondement de la morale, à savoir la manière dont la volonté peut avoir un intérêt à la loi morale indépendamment de tout mobile sensible. Kant montre en effet qu'une action ne peut être moralement bonne qu'à la condition que son principe puisse être universalisé. Or pour cela, il faut que ce principe ne contienne aucune contradiction : par exemple, il ne faut pas mentir car on ne peut vouloir que le mensonge devienne une loi universelle (car alors plus personne ne croit personne). Il appartient donc à la raison, et à la raison seule, de définir ce qui est moral au moyen de la forme universelle de la loi.

Le texte ci-dessous est extrait de la conclusion de l'ouvrage où Kant passe par un effet de balancier du ciel étoilé à la loi morale. Il s'agit pour lui de souligner le double horizon infini qui borde le sujet humain. La difficulté mise en lumière par la Critique de la raison pratique est de déterminer comment la volonté peut s'arracher au déterminisme du règne de la nature où toute chose se trouve irrémédiablement prise. Après avoir, dans la première partie, montré que la valeur morale d'une action reposait essentiellement dans l'intention qui l'animait ("Analytique", I, 1), puis résolu l'antinomie de la raison pratique entre bonheur et vertu ("Dialectique", I, 2), Kant s'interroge dans la seconde partie ("Méthode", II) sur le moyen de donner de l'influence aux lois de la raison pure pratique sur les maximes que se donnent l'esprit humain.

jeudi 29 mars 2018

"Ce qui connaît tout le reste, sans être soi-même connu, c'est le sujet"

Commentaire

Le Monde comme volonté et comme représentation (1818) part de l'idée que "le monde est ma représentation" (§ 1) : la réalité n'est qu'une représentation subjective du monde perçu par une conscience. Mais Arthur Schopenhauer (1788-1860) n'est pas pour autant relativiste : le monde des objets est accessible à la connaissance. Il s'inscrit dans le sillage de l'idéalisme qui fait des idées la réalité ultime et, plus précisément, de l'idéalisme kantien, qui affirme la possibilité de la connaissance à partir des structures fondamentales de représentation du sujet. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre premier qui porte sur le monde en tant que représentation. Schopenhauer s'appuie sur les acquis de l'idéalisme transcendantal kantien. Rappelons en effet que, pour Kant, si nous ne pouvons pas connaître la chose en soi, nous pouvons néanmoins connaître quelles sont les conditions de possibilités des idées. Dans le paragraphe précédent, Schopenhauer envisage le monde en tant qu'il a la propriété d'être pensé : la seule donnée fondamentale étant ce que l'on perçoit. Il en tire comme conséquence que le monde n'existe que par rapport à un sujet et que ce sujet est le principe même de tout ce qui existe. 

mercredi 28 mars 2018

"Faire aux autres ce qu’on voudrait que les autres fassent pour vous, aimer son prochain comme soi-même, voilà les deux règles de perfection idéale de la morale utilitaire"

Commentaire

L'Utilitarisme (1863) est un ouvrage du philosophe britannique John Stuart Mill (1806-1873). L'utilitarisme est une doctrine philosophique initiée par Jérémy Bentham (1748-1832) qui fait de l'utilité le principal critère des valeurs morales. Si Bentham analyse le principe d'utilité par rapport à la quantité de plaisir, Mill complète ensuite cette doctrine en cherchant à mettre l'accent sur la qualité des plaisirs. Pour évaluer la qualité d'un plaisir, il se base sur les préférences individuelles : un plaisir est qualitativement supérieur à un autre si presque tous ceux qui l'ont mis en avant ont fait le même choix (Mill ajoute que la compétence de ceux qui font cette hiérarchie peut également être prise en compte). 

Le texte ci-dessous est extrait du chapitre II qui s'intitule "Ce que c'est que l'utilitarisme". Dans le premier chapitre, Mill fait remonter l'utilitarisme au Socrate du Protagoras, puis critique les tenants d'une morale intuitionniste qui défendent la thèse de l'existence de vérités morales indépendantes de  l'esprit et finit par s'en prendre à la philosophie de Kant - dont il reconnaît toutefois les mérites - en raison des conséquences de l'impératif catégorique selon lequel on ne doit agir que d'après les maximes qui peuvent être également adoptées comme loi par tous les êtres rationnels et qui conduisent à des règles contraires à la morale. Dans le chapitre II, il reprend les critiques traditionnellement adressées à l'utilitarisme comme celle qui fait de l'utilité la pierre de touche du bien et du mal ou encore celle qui reproche à l'utilitarisme de tout ramener au plaisir. 

mardi 27 mars 2018

"Conscience ! Conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix"

Commentaire

L'Emile ou De l'éducation (1762) est une œuvre de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui expose sa théorie éducative. Elle est composée de cinq livres : les quatre premiers correspondent chacun à un âge de la jeunesse et le dernier porte plus spécifiquement sur l'éducation féminine. De manière générale, Rousseau considère que l'éducation doit tout faire pour préserver la bonté initiale de l'enfant, d'où son concept d'éducation négative qui consiste surtout à le protéger de la mauvaise influence de la société et à laisser faire la nature. L'enfant doit apprendre par lui-même de ses erreurs et son précepteur éviter d'intervenir directement en lui donnant la leçon.

Le texte ci-dessous est extrait du livre IV et, plus précisément, d'une partie qui s'appelle "Profession de foi du vicaire savoyard". Une profession de foi est la déclaration publique d'une croyance. Le vicaire savoyard renseigne le précepteur d'Emile sur les véritables principes moraux et religieux, c'est-à-dire ceux de Rousseau. Sa conception est celle de la religion naturelle, chaque homme ayant naturellement en lui le sentiment intérieur du divin, il n'a pas besoin d'autre chose que lui-même pour connaître Dieu. Ainsi, Rousseau s'en prend à la fois aux religions révélées, auxquelles il reproche de s'interposer entre les hommes et Dieu, au matérialisme et à l'athéisme. Il affirme, par la même occasion, la prédominance du sentiment sur la raison en matière de morale. 

lundi 26 mars 2018

"Afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, [...] je me formai une morale par provision"

Commentaire

Le Discours de la méthode (1637) est un texte de René Descartes (1596-1650) qui sert de Préface à trois essais de physique : la Dioptrique, les Météores et la Géométrie. L'époque de Descartes se caractérise par la domination intellectuelle de la scolastique, philosophie enseignée depuis le Moyen Age et qui cherche à accorder la théologie chrétienne avec la pensée d'Aristote. Insatisfait par cet enseignement de nature trop dogmatique, Descartes cherche un moyen de donner aux sciences un fondement nouveau à partir de la raison. Pour cela, il met au point une méthode inspirée des mathématiques et recourt au doute afin de parvenir à une première certitude rationnelle (l'énoncé du cogito : "je pense donc je suis") sur laquelle il peut désormais s'appuyer dans sa quête de la vérité.

Le texte ci-dessous est extrait du début du livre III et correspond à l'énoncé de la fameuse "morale par provision" que Descartes se donne afin de vivre commodément en attendant de pouvoir établir une morale définitive grâce au changement de méthode qu'il propose. Dans le livre II, Descartes a présenté son doute méthodique. Or ce doute ne peut concerner que les connaissances théoriques car, pour ce qui est des connaissances pratiques, il faut bien vivre et il est impossible de suspendre son jugement. C'est pour cette raison qu'il préconise la mise en place d'une morale "par provision", terme à entendre en deux sens : celui de provision qu'on emporte avec soit à l'occasion d'un voyage, et celui de provisoire, un jugement par provision étant un jugement préalable avant une sentence définitive.

samedi 24 mars 2018

"Une vie bien réglée vaut mieux qu'une vie désordonnée"

Commentaire

Le Gorgias (387 av. J.-C.) ou Sur la rhétorique, est un dialogue de Platon (428-348 av. J.-C.) qui met en scène Socrate et l'un des plus grands sophistes de l'époque antique, Gorgias. Le dialogue s'ouvre sur une confrontation de Socrate avec un personnage fictif : Calliclès. Ce dernier commence par condamner les lois humaines qui défendent les faibles aux détriments des plus forts. Il part d'une conception de la nature où c'est le droit du plus fort qui l'emporte. Selon lui, les faibles se sont unis pour dominer les forts - ceux qui sont naturellement faits pour commander - et ont imposé un ordre moral qui prône la maîtrise des plaisirs.

Le texte ci-dessous se situe au début du dialogue. Après avoir dénoncé la prise de pouvoir des faibles sur les forts, Calliclès avance que la vertu ne consiste pas à réfréner ses passions contrairement aux valeurs que promeut la morale des faibles, mais à assouvir tous ses désirs, quels qu'ils soient et par tous les moyens. Pour lui, les hommes qui parviennent à se contenter de ce qu'ils ont ne sont pas plus heureux que ceux qui se laissent guider par leurs passions car ne plus rien désirer, c'est être comme mort. Socrate prend au sérieux cet argument et rétorque que le corps (sôma) est précisément un tombeau (sèma), la vertu consistant justement dans le contrôle des passions au moyen de la raison, et ce afin d'éviter que l'âme ne ressemble à une passoire empêchant tout contrôle. La mort du corps est symbolique car il s'agit surtout d'éviter que les plaisirs sans freins dégénèrent en violence.

vendredi 23 mars 2018

"Nous n'avons aucune idée du moi"


Commentaire

Le Traité de la nature humaine (1740) est composé de trois livres portant respectivement sur l'entendement, les passions et la morale. Rédigé par David Hume (1711-1776), il constitue l'une des références de la philosophie empiriste, doctrine selon laquelle les connaissances de l'esprit proviennent de l'expérience seule. L'empirisme s'oppose au rationalisme qui prétend établir des connaissances à partir des analyses de la raison. Hume critique ainsi l'idée de sujet : elle est le résultat d'une abstraction de la raison, sans lien réel avec l'expérience. Le moi serait ainsi une invention de l'imagination. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre I consacré à l'entendement. Après avoir discuté de l'origine des idées (partie I), notamment de celles de l'espace et du temps (partie II), et de la connaissance (partie III), Hume expose les raisons de son scepticisme (partie IV) à l'égard des principales déductions métaphysiques (partie IV) dont la question de l'identité personnelle (section VI). A chaque fois, Hume invoque le fait que nous imaginons une causalité là où il n'y a qu'habitude : c'est vrai pour l'immatérialité de l'âme (section V) mais aussi pour l'identité personnelle puisqu'aucune idée claire ne correspond à l'idée de sujet. 

jeudi 22 mars 2018

"C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet"

Commentaire

Les Problèmes de linguistique générale (1966 et 1974) sont un recueil d'essais généraux du linguiste Emile Benvéniste (1902-1976) portant sur le langage et la communication. Cet ouvrage souligne l'importance de l'énonciation, acte par lequel un locuteur produit un énoncé, s'adressant à un destinataire, selon certaines circonstances. La linguistique est la science qui étudie le langage. L'apport de Benvéniste consiste à étendre cette étude non pas seulement à l'analyse des règles du langage, mais à prendre en compte la situation concrète de l'énonciation : qui parle et pour qui. 

Le texte ci-dessous se trouve au début d'un article intitulé "De la subjectivité dans le langage" (publié initialement en 1958). Avant d'établir que le sujet est constitué par le langage, Benvéniste invite à ne pas réduire le langage à un instrument de communication. Cette réduction conduit en effet à ne considérer qu'une partie du langage, le langage mis en action, lequel désigne en réalité ce qu'on appelle le discours. Autre conséquence : le langage instrument est rabattu du côté de la culture, de l'artifice, et donc est placé en opposition avec la nature. Or le langage est dans la nature de l'homme : c'est un homme parlant que le linguiste étudie et non un langage qui aurait été mis au point par l'homme arbitrairement (contrairement à la thèse de Saussure relative l'arbitraire du signe).  

"De la subjectivité dans le langage ?"

Emile Benvéniste
(1902-1976).
L'article d'Emile Benvéniste reproduit ci-dessous a été publié initialement dans le Journal de Psychologie en juillet-septembre 1958 aux éditions PUF. Il a ensuite été repris dans le recueil d'articles Problèmes de linguistique générale (1966) publié chez Gallimard (collection Tel, p. 258-266) et constitue son chapitre XXI : "De la subjectivité dans le langage".

lundi 12 mars 2018

Cours - Théorie et expérience

Introduction

Une théorie constitue un ensemble d'idées organisées entre elles proposant de rendre compte de la réalité ou d'une partie de celle-ci. Par exemple, la théorie du complot est une théorie qui procède d'une certaine vision de l'histoire selon laquelle un groupe occulte profiterait de son influence pour asseoir sa domination sur le monde. L'étymologie du terme théorie renvoie au grec theoria qui signifie "contemplation". Elle suggère que la théorisation est une activité essentiellement intellectuelle, une construction de la raison. En ce sens, la théorie s'opposerait à la pratique qui désignerait un rapport au réel beaucoup plus concret, une façon de faire plutôt qu'une manière de penser déconnectée de la réalité, voire délirante.

Ce qui est valorisé dans la pratique (entendue comme ce qui s'oppose à la théorie), c'est l'expérience : on dit alors que l'on a fait l'expérience de quelque chose ou qu'on a acquis de l'expérience. Cette expérience est souvent valorisée par rapport à une vision purement théorique. On oppose alors deux types de connaissance : une connaissance qui serait d'origine purement livresque, théorique, scolaire et une connaissance concrète des choses, fondée sur une longue expérience. Cette dimension de connaissance se retrouve dans l'étymologie du terme "expérience" qui en grec se dit empereia et qui a donné "empirisme", nom d'une doctrine philosophique selon laquelle toute connaissance provient de l'expérience. Plus généralement, est empirique, tout ce qui provient de l'expérience. Ainsi, on dira d'un procédé qu'il est empirique s'il en reste au niveau de l'expérience commune, sans atteindre une dimension rationnelle ou systématique. A ce stade, théorie et expérience semblent s'opposer.  

jeudi 8 mars 2018

"Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience"


Commentaire

La logique de la découverte scientifique (1934) est un ouvrage du philosophe autrichien Karl Popper (1902-1994). Son objectif est de déterminer un critère de démarcation entre science et pseudo-science. Pour ce faire, il met au point le concept de falsifiabilité (ou de réfutabilité) selon lequel pour qu'une théorie soit scientifique, il faut et il suffit qu'elle soit réfutable par l'expérience. Ce critère vise à remplacer celui traditionnellement admis dans les sciences qui consiste à mettre l'accent sur la vérifiabilité d'une théorie, c'est-à-dire sa corroboration par l'expérience. 

Le texte ci-dessous est extrait du premier chapitre de l'ouvrage qui s'intitule "Examen de certains problèmes fondamentaux". Popper s'intéresse à la science en tant que logicien. Il montre notamment que les sciences empiriques, c'est-à-dire progressant au moyen de l'expérience, fonctionnent par induction : elles remontent d'énoncés particuliers jusqu'à des énoncés universels tels que des hypothèses ou des théories. Or cette remontée, comme l'a bien montré Hume, ne peut pas parvenir à un caractère de vérité absolue. Il est en effet impossible d'établir des énoncés qui soient absolument universels à partir seulement d'inférence de cas particuliers car il est toujours possible, en droit, qu'un cas invalide la théorie. En soulignant que les inférences inductives sont logiquement injustifiées, Popper pose la question de savoir si des lois naturelles peuvent être établies comme véridiques. 

mardi 6 mars 2018

"Les instruments ne sont que des théories matérialisées"

Commentaire

Le Nouvel esprit scientifique (1934) est un ouvrage de Gaston Bachelard (1884-1962) qui expose la nouvelle philosophie des sciences apparue au début du XXe siècle et que Bachelard nomme épistémologie non-cartésienne. Le nouvel esprit scientifique s'inscrit en rupture avec l'ancien esprit marqué par l'influence de la théorie cartésienne des natures simples. En effet, Descartes conçoit le réel comme connaissable à partir du moment où l'on est capable de réduire sa complexité apparente à des natures simples telles que la figure, l'étendue ou le mouvement (voir la Règle n° 12 des Règles pour la direction de l'esprit). Or, Bachelard montre que le réel n'est pas donné d'emblée, mais qu'il est le résultat d'une construction rationnelle. Le nouvel esprit scientifique s'attache plutôt à complexifier cette construction en s'intéressant au tissu de relations dans lequel se trouve le phénomène étudié, plutôt qu'à analyser ses éléments en allant du complexe au simple. 

Le texte ci-dessous est extrait de l'introduction de l'ouvrage. Elle s'intitule "La complexité essentielle de la philosophie scientifique". Bachelard a commencé par montrer qu'il existait deux attitudes philosophiques fondamentales : le rationalisme qui fait de la science une construction de la raison et le réalisme qui en fait un accès au phénomène tels qu'ils sont. Dans la science contemporaine, ces deux attitudes se retrouvent étroitement mêlées. Mais Bachelard décèle un vecteur particulier qui part du rationnel pour aller au réel, la science étant ainsi conçue comme la réalisation du rationnel. Cette réalisation du rationnel se produit dans les sciences physiques notamment via ce que Bachelard nomme "un réalisme technique", c'est-à-dire qu'il existe un lien étroit entre la théorie et le réel via l'appareillage dans les sciences. Les instruments du scientifique sont toujours le fruit d'une construction qui résulte du progrès des sciences, d'un approfondissement du réel par la raison au moyen de la technique. 

dimanche 4 mars 2018

"La raison [...] doit se présenter à la nature en tenant d'une main ses principes [...] et de l'autre les expériences"

Commentaire

La Critique de la raison pure (1781) est un ouvrage du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) qui vise à réhabiliter la raison contre les attaques sceptiques qui montrent que nous ne pouvons atteindre que les phénomènes, les choses telles qu'elles nous apparaissent, et jamais la réalité en tant que telle, indépendamment de nous. Contrairement à Descartes qui cherche à vaincre le scepticisme en établissant un système métaphysique élaboré sur la certitude absolue du cogito, Kant institue un tribunal de la raison afin de déterminer quelles sont ses prétentions légitimes de connaître. La critique est ce qui doit permettre d'établir le périmètre à l'intérieur duquel la raison peut obtenir des connaissances indubitables et au-delà duquel elle ne peut aboutir qu'à des connaissances illusoires (cf. les Idées de la raison que sont l'âme, Dieu ou la liberté).

Le texte ci-dessous est extrait de la "Seconde préface" rédigée à l'occasion de la réédition de la Critique de la raison pure en 1787. Dans celle-ci, Kant commence par analyser le changement de méthode qui a conduit à ce que la mathématique entre dans la voie sûre de la science. S'il n'est pas possible de faire l'histoire de cette révolution à cause des temps reculés où elle s'est produite, Kant estime que c'est à Thalès qu'il faut attribuer le changement de méthode qui consiste à ne plus partir de la figure telle qu'on la voit, mais à lui imposer un raisonnement purement rationnel et a priori, c'est-à-dire partir d'un concept tel que celui de triangle isocèle, pour en connaître les principales caractéristiques, a priori, simplement en examinant au moyen de la raison toutes les propriétés qui découlent nécessairement de lui. Il en vient ensuite à s'intéresser à la manière dont la physique est devenue une science.

La "Seconde Préface" à la Critique de la Raison pure de Kant (Fiche de lecture)

Le but que Kant se fixe dans la Critique de la raison pure est de déterminer si la Métaphysique, discipline qui étudie ce qui dépasse (méta) la physique, peut-être appréhendée en tant que science, c’est-à-dire en s’inspirant des caractéristiques des autres sciences, telles que la Logique, la Mathématique et la Physique. Ces dernières procèdent à partir d’une connaissance a priori qui permet l'observation de la nature au moyen de l'expérience. Cette expérience est orientée par une théorie qui rend possible son interprétation.

Or, la Métaphysique ne travaille qu’à partir de concepts et ne peut se prévaloir d’aucune confrontation directe avec la réalité. Pourtant, il semble nécessaire qu'elle connaisse comme les autres sciences, sa révolution copernicienne, c'est-à-dire qu'elle abandonne son ancienne prétention de parvenir à une connaissance des choses en soi, inaccessibles par l'expérience, pour devenir un savoir sur les conditions de possibilité du fonctionnement même de la raison, un traité de la méthode du raisonnement et donc une critique de la raison procédant indépendamment de l'expérience, c'est-à-dire de la raison pure. 

[N.B. : Cette fiche de lecture a été réalisée à partir du texte de la "Seconde Préface" de la Critique de la raison pure paru en 2001 aux éditions PUF Quadrige et traduit par A. Tremesaygues et B. Pacaud. La pagination à laquelle renvoient les citations fait référence à cet ouvrage.]

samedi 3 mars 2018

"Rien n'est dans l'intelligence qui n'ait auparavant été dans les sens, si ce n'est l'intelligence elle-même"

Commentaire 

Les Nouveaux Essais sur l'entendement humain (1765) sont une œuvre de Leibniz (1646-1716) qui se veut une réponse critique, livre par livre, chapitre par chapitre, aux Essais sur l'entendement humain de Locke. Les Nouveaux Essais sont composés de quatre livres dont les titres sont similaires aux Essais de Locke : "Des notions innées", "Des idées", "Des mots" et "De la connaissance". A la différence toutefois de l'ouvrage de Locke, Leibniz opte pour la forme du dialogue. Il met en scène deux personnages : Philalèthe, qui expose la pensée de Locke, et Théophile, qui défend la pensée de Leibniz. Comme Locke, Leibniz reconnaît le rôle de l'expérience dans la formation de la connaissance, il réfute cependant sa position empiriste selon laquelle toutes les idées viendraient uniquement des sens.  

Le texte ci-dessous est extrait du livre II portant sur les idées et, plus précisément, de son premier chapitre. C'est Théophile qui parle. Dans le livre I consacré aux idées innées, Leibniz considère que nous avons en nous, virtuellement, un certain nombre d'idées et de vérités. Virtuellement, c'est-à-dire que ces idées innées sont en puissance dans l'âme et qu'elles sont activées à mesure de nos expériences. A cela, il faut ajouter que l'âme est, selon Leibniz, un principe immatériel qui fonde la vie et l'unité du vivant. Chaque vivant dispose d'une âme, mais l'homme possède une âme raisonnable qui le rend capable de connaître le réel et d'atteindre la vérité. Ainsi, Leibniz s'inscrit à la fois dans le sillage de Platon qui, dans le Ménon, démontre que les individus ont en eux des notions innées de géométrie et d'arithmétique, et d'Aristote, qui fait de l'âme le principe de vie du corps organique.