vendredi 29 décembre 2017

Cours - Le vivant

Introduction

Le vivant désigne les êtres qui possèdent les propriétés physico-chimiques permettant la vie. Les biologistes s'entendent pour qualifier un organisme de vivant lorsqu'il réunit trois propriétés : l'auto-organisation, c'est-à-dire l'assemblage de composants dont les plans sont inscrits dans son génome ; la reproduction et, enfin, la délimitation entre un intérieur et un environnement. En ce sens, le vivant se distingue de l'inerte et du minéral. Ses formes sont variées puisque sa vaste échelle s'étend de la bactérie mycoplasme - plus petite forme de vie connue - jusqu'aux organismes complexes que sont les animaux et dont l'homme fait partie.

En quoi le vivant constitue-t-il une question philosophique ? C'est que, si la biologie - science dont le but est d'expliquer le vivant - parvient à donner une définition de la vie, elle laisse néanmoins le champ libre à un questionnement sur le modèle choisi pour l'explication. Trois modèles principaux doivent être mentionnés : le finalisme, le mécanisme et le vitalisme. Le finalisme consiste à envisager le vivant du point de vue de la finalité du vivant, c'est-à-dire de sa nécessité (il ne pouvait pas être autrement) et conduit à exclure le hasard de la vie. Le mécanisme consiste à réduire le fonctionnement du vivant à de simples rapports physico-chimiques. Le vitalisme s'oppose au mécanisme en considérant la vie comme étant dotée de propriétés qui ne peuvent être seulement expliquées par le fonctionnement interne des parties de l'organisme. 

mardi 28 novembre 2017

"La biologie n'est pas une science unifiée"

Commentaire

La logique du vivant (1970) est une histoire de l'hérédité écrite par le biologiste français François Jacob (1920-2013). Elle se compose de cinq chapitres qui suivent la progression de la connaissance du vivant qui progresse par l'étude d'une série d'organisations emboîtées les unes dans les autres ("comme des poupées russes" précise Jacob), chaque structure en cachant une autre. Il distingue quatre niveaux : au XVIIe siècle, l'agencement des surfaces visibles ; au XVIIIe siècle, l'organisation qui sous-tend organes et fonctions, et qui finit par se résoudre en cellules ; au début du XXe siècle : les chromosomes et les gènes que l'on trouve dans la cellule ; au milieu du XXe siècle : la molécule d'acide nucléique déterminant la structuration de l'organisme ainsi que ses propriétés. 

Le texte ci-dessus est extrait de l'introduction de l'ouvrage qui a pour titre "Le programme". Pour François Jacob la notion de programme appliquée à l'hérédité permet à la biologie de sortir de certaines oppositions entre finalisme et mécanisme car on y retrouve deux notions associées intuitivement aux êtres vivants : la mémoire (le souvenir des parents inscrit dans l'hérédité) et le projet (le plan qui dirige la formation d'un organisme). 

lundi 27 novembre 2017

"L'une des propriétés fondamentales qui caractérisent tous les êtres vivants sans exception : celle d'être des objets doués d'un projet"

Commentaire

Le Hasard et la Nécessité (1970) est un ouvrage du biochimiste français Jacques Monod (1910-1976), contributeur du développement de la biologie moléculaire et récipiendaire du prix Nobel de médecine en 1965 (partagé avec André Lwoff et François Jacob). Son ouvrage, composé de neuf chapitres, est un essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne. Si Jacques Monod y affirme la compatibilité de l'existence du vivant et des raisons de son organisation avec les lois de la physique, il précise toutefois qu'elles ne sont pas déductibles de ces lois du fait qu'elles fonctionnent à partir de probabilités. Le mécanisme de reproduction des espèces fonctionne de manière à répliquer à l'identique le code génétique de l'espèce tout en aménageant une possibilité pour que des mutations surviennent aléatoirement.

Le texte ci-dessous est extrait du premier chapitre intitulé "D'étranges objets". Jacques Monod cherche à déterminer ce qui spécifie les objets naturels par rapport aux objets artificiels. Il imagine la mise au point d'un programme dont l'objectif serait d'opérer ce type de repérage à l'occasion de l'exploration d'une nouvelle planète. Après avoir montré que ce ne peut pas être les deux critères de régularité et de répétition, il envisage deux autres critères possibles : la structure et les performances (c'est-à-dire ce qu'on attend d'un objet). Si ce programme comparait au moyen de ces deux critères, par exemple, des chevaux courant dans un champ et une voiture roulant sur une route, il conclurait qu'ils sont comparables puisqu'ils servent à se déplacer et qu'ils ont une structure adaptée au type de surface qu'ils empruntent. Il en va de même lorsqu'on compare un objet naturel et un artefact, par exemple un oeil et un appareil photographique.

jeudi 23 novembre 2017

"Pour les corps vivants (...) aussi, le déterminisme existe"

Commentaire

L'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (1865) est un ouvrage du médecin et physiologiste français Claude Bernard (1813-1878). L'ambition du livre est de donner à la médecine une méthode qui soit pleinement scientifique, c'est-à-dire capable d'établir des lois déterminées au moyen de l'expérimentation. Pour cela, elle doit considérer les phénomènes vivants comme des phénomènes physico-chimiques et procéder rationnellement en cherchant à rapprocher les faits et les théories afin de les vérifier. Trois phases comptent : l'observation d'un fait, l'hypothèse qui l'explique puis l'expérience visant à la vérifier dans des conditions contrôlées par le chercheur. 

Le texte ci-dessous est extrait de la deuxième partie de l'Introduction. Dans la première partie, Claude Bernard s'intéresse au raisonnement expérimental et insiste notamment sur le rôle de l'observation dans l'expérience ainsi que sur la nécessité du doute que doit entretenir le chercheur afin de préserver sa liberté d'esprit. Il en vient, au début de la deuxième partie, à l'expérimentation chez les êtres vivants. Les corps vivants disposent en effet d'une spontanéité, c'est-à-dire d'une capacité à s'affranchir de la causalité physique et à se déterminer par eux-mêmes. Il cherche à montrer pourquoi cette conception du vivant ne s'oppose pas à la mise en pratique d'une méthode expérimentale.

mardi 21 novembre 2017

"Un être organisé n'est donc pas simplement une machine"

Commentaire

La Critique de la faculté de juger (1790) vient compléter les deux premières Critiques écrites par Emmanuel Kant (1724-1804), la Critique de raison pure et la Critique de la raison pratique. La Critique de la raison pure concernait notre faculté de connaître et la Critique de la raison pratique notre faculté de désirer et de vouloir. La troisième critique s'intéresse à notre faculté de juger selon le sentiment de plaisir. Elle comprend deux parties : la première traite du jugement esthétique dans l'art et la seconde du jugement téléologique dans la nature. Dans les deux cas, il s'agit de comprendre ce que l'artiste ou la nature ont cherché à faire (bien que nous ne puissions jamais le savoir) et donc de s'intéresser à la finalité. 

Le texte ci-dessous est extrait de la seconde partie portant sur la critique de la faculté de juger téléologique et, plus précisément, du paragraphe 65. Dans les paragraphes précédents, Kant a montré que les jugements sur la finalité de la nature ne pouvaient pas être tenus pour objectifs, absolus et scientifiques (par exemple, on ne peut pas dire que la neige a objectivement pour fin de protéger les semailles). Cependant, par analogie, il est possible de faire comme si c'était le cas pour compléter les lois de la causalité lorsque l'on considère la finalité interne d'un être vivant (par exemple, un arbre en produit un autre en tant qu'espèce : la finalité de l'arbre est la reproduction de l'arbre).

samedi 18 novembre 2017

"Le corps n'est autre chose qu'une statue ou machine de terre"

Commentaire

Le Traité de l'homme (1662) n'a pas été publié du vivant de Descartes (1596-1650). Il se place à la suite d'un premier traité, le Traité du monde et de la lumière (1664), dans lequel Descartes critique les principes fondamentaux de la physique scolastique, développée au Moyen Age, notamment par Thomas d'Aquin, et qui emprunte de nombreux concepts à la philosophie d'Aristote. Descartes y affirme la thèse de l'héliocentrisme (le soleil est au centre de l'univers), hypothèse contraire au géocentrisme (la terre est au centre de l'univers) admis à l'époque, qui valu d'ailleurs à Galilée une condamnation, ce qui détermina Descartes à différer la publication de ses ouvrages. 

Le texte ci-dessous constitue les premières lignes du Traité de l'homme. Descartes tire les conséquences de sa vision mécaniste du monde pour ce qui concerne l'étude du corps vivant. Il estime que les fonctions corporelles (circulation du sang, respiration, motricité) peuvent s'expliquer par des raisonnements mécanistes, c'est-à-dire au moyen de causes efficientes ou des propriétés physico-chimiques. Cette explication mécaniste des phénomènes vitaux se distingue des thèses finalistes (la nature ne fait rien en vain) et vitalistes (l'âme est le principe vital du corps) avancées par Aristote et réaffirmées par la scolastique. 

vendredi 17 novembre 2017

"Ce n'est pas le hasard, mais la finalité qui règne dans les oeuvres de la nature"

Commentaire

Le Traité sur les parties des animaux (330 av. J.-C.) est un traité  de biologie composé de quatre livre que l'on doit à Aristote (384-322 av. J.-C.). Il classifie les animaux et critique les positions antiques, notamment platoniciennes, concernant l'étude du vivant. Il établit que la nature agit en cherchant à équilibrer les forces et les faiblesses de chaque espèce afin que l'une ne prenne pas l'ascendant sur l'autre. Cette conception est fixiste, c'est-à-dire non-évolutionniste : le cadre naturel est posé une fois pour toute. Sur le plan anatomique toutefois, les observations d'Aristote sont souvent pertinentes.

Le texte ci-dessous est tiré du chapitre V du premier livre. Dans les quatre chapitres qui précèdent, Aristote présente sa méthode de classification des espèces qui consiste à procéder par la voie de la catégorisation par genre et non pas par division comme le préconise Platon, car cela ne permet pas de descendre jusqu'aux individus et conduit à séparer des animaux semblables pour les mettre avec des dissemblables. Dans le chapitre V, Aristote commence par distinguer deux types d'être : ceux qui sont impérissables et ceux qui naissent puis périssent. C'est dans ce dernier type que se classe le vivant (plantes et animaux), qu'il nous est plus aisé à connaître puisque nous vivons dans leur proximité. Il en vient ainsi à considérer pourquoi cette étude du vivant ne doit négliger aucun détail, aussi peu relevé soit-il. 

samedi 11 novembre 2017

“La monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin et cela par convention”

Commentaire

L'Ethique à Nicomaque est une oeuvre d'Aristote (384-322 av. J.-C.) traitant de questions morales. Après avoir énoncé que le bonheur comme contemplation était le souverain bien (livre I), Aristote s'intéresse à la vertu qu'il définit comme juste mesure (livre II) puis livre diverses analyses de celle-ci (III, IV). Il s'intéresse ensuite à la justice (livre V), aux vertus intellectuelles (VI), à l'intempérance et aux plaisirs (VII), à l'amitié (VIII, IX) et termine par des considérations sur la vie contemplative, laquelle jouit d'une place prééminente dans sa morale (livre X). 

Le texte ci-dessous est extrait du livre V consacré au thème de la justice. Au début du chapitre VIII, Aristote analyse la justice dans les échanges. Il remarque alors que c'est l'idée de réciprocité qui domine, une réciprocité qui n'est pas définie par une égalité stricte, mais par une égalité proportionnelle. En effet, l'échange consiste à échanger des produits qui sont qualitativement et quantitativement différents. Comment alors trouver une commune mesure qui permettent à chaque contractant d'avoir le sentiment que l'échange réalisé est juste ? 

vendredi 10 novembre 2017

"Plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s'éloigne de nous"

Commentaire

L'Emile ou De l'éducation (1762) est un traité sur l'éducation que l'on doit au philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Il est composé de cinq livres correspondant chacun à un âge de la vie : le nourrisson, l'âge de la nature (2 à 12 ans), l'âge de de la force (12 à 15 ans), la puberté (15 à 20 ans) et l'adulte. Rousseau défend l'idée d'une éducation négative, c'est-à-dire qui soit plus soucieuse de la protection de l'enfant contre le vice, plutôt que de l'instruction. Il estime qu'il vaut mieux ne rien faire et recommande de laisser agir la nature. L'éducation doit être faite par les choses plutôt que par les livres (afin que l'enfant s'aperçoive de la nécessité à l'oeuvre dans la nature). Elle doit éviter les punitions pour les remplacer par des sanctions naturelles (si l'enfant casse un carreau de sa chambre, on le laisse avoir froid). 


Le texte ci-dessous est extrait du deuxième livre intitulé "L'âge de nature". Auparavant, Rousseau a posé comme précepte moral que toute éducation se doit de considérer "l'homme dans l'homme, et l'enfant dans l'enfant". Il critique l'éducation barbare qui consiste à sacrifier le présent de l'enfant en vue d'un avenir incertain, de le considérer comme un esclave en lui promettant un bonheur futur, de lui imposer des devoirs qui ne lui serviront peut-être de rien. Il invite ainsi les éducateurs à faire preuve davantage d'humanité et d'aimer l'enfance pour elle-même car elle est une période rare où règnent le rire et l'insouciance. Il convient donc de ne pas traiter l'enfant comme un futur adulte, mais de considérer sa place en tant que telle. C'est ainsi que Rousseau en vient à se demander comment parvient-ton bonheur. 

mercredi 8 novembre 2017

"Il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance"

Commentaire

Les Lettres à Elisabeth (1643 à 1649) sont un ensemble épistolaire qui retrace les échanges de correspondance entre René Descartes (1596-1650) et Elisabeth, princesse palatine, fille aînée de Frédéric V et Elisabeth Stuart, brièvement, souverains de Bohême. Elles ont pour principal objet le thème de l'union de l'âme et du corps et peuvent donc être lues comme le pendant aux Passions de l'âme (1649). Elles portent également sur des questions morales, non sous la forme d'un exposé systématique, mais par une série de remarques étayées, souvent personnelles, soucieuses des nécessités de la vie et conformes aux idéaux de sagesse de l'époque. 

La Lettre à Elisabeth du 6 octobre 1645, dont est extrait le texte ci-dessous, traite plus particulièrement de la question du bonheur et de la vérité. La question que se pose Descartes est de savoir s'il est préférable d'être joyeux dans l'ignorance ou triste dans la connaissance. Sa réponse ici est que la connaissance est préférable (mais à l'article 142 des Passions de l'âme, il affirme l'inverse : "souvent une fausse joie vaut mieux qu'une tristesse dont la cause est vraie"). Pour démontrer sa thèse, il opère une série de distinctions, notamment entre le souverain bien et le plaisir qu'il apporte, les joies superficielles et celles qui sont profondes, le bonheur (qui dépend de la fortune) et la béatitude (qui dépend de notre libre arbitre). 

"Le bois dont l’homme est fait est si courbe qu’on ne peut rien y tailler de tout à fait droit"


Commentaire

L'Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784) est un article en neuf propositions d'Emmanuel Kant (1724-1804) qui cherche à déterminer si l'on peut entrevoir un fil conducteur à l'histoire humaine selon un plan déterminé de la nature. Pour Kant, c'est le cas : il estime que la nature ruse en oeuvrant selon un plan caché de manière à favoriser l'avènement d'une société des nations dont l'objectif sera de maintenir la paix entre les peuples. 

Le texte ci-dessous est extrait de la VIe proposition où Kant écrit que le dernier grand problème que l'homme résoudra est celui du moyen d'atteindre une société civile administrant le droit universellement, c'est-à-dire d'une manière qui soit égale pour tous. Il affirme que les hommes sont par nature ingouvernables. Etant naturellement poussés à suivre leurs penchants égoïstes, ils ont toujours tendance à rechercher des privilèges ou des moyens d'échapper à la loi. Pour régler ce problème, il faudrait instituer un maître. Problème : il n'existe pas de maître capable d'être à la fois homme et juste par lui-même. Néanmoins, le but de la nature reste le progrès infini de l'homme par le droit. 

"C'est dans les mots que nous pensons"

Commentaire

L'Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé (1817 pour la première édition, mais 1830 pour l'édition définitive) fournit au lecteur de Hegel (1770-1831) le fil conducteur de sa philosophie. Elle reprend, de façon synthétique, chaque étape de sa pensée qui se déploie en trois parties : la logique (être, essence, concept), la philosophie de la nature et la philosophie de l'esprit. L'ambition de Hegel est de faire de la philosophie une science au même titre que les sciences positives. Ainsi le déploiement de cette oeuvre se fait selon un ordre nécessaire et dans une volonté d'absolu, conformément à la fin que poursuit la science philosophique, qui progresse méthodiquement dans sa conquête du savoir. 

Le texte ci-dessous est extrait du troisième moment de cette encyclopédie, à savoir celui de la philosophie de l'esprit. Ce troisième moment constitue l'achèvement du système hégélien, c'est-à-dire à la fois sa fin, son terme et son accomplissement. C'est à la fin de ce troisième moment qu'il évoque l'idée que le langage est l'expression nécessaire de la pensée. Sa thèse est, en effet, que la pensée habite dans les mots, qu'elle ne peut pas s'exprimer ou s'objectiver en dehors du langage. Autrement dit, le langage n'est pas qu'un moyen (parmi de nombreux autres possibles) de la pensée, il est son seul support possible.

lundi 6 novembre 2017

Cours - L'histoire

Introduction

"Il était une fois". Ainsi commencent les histoires qui sont racontées aux enfants pour les endormir. Ces contes, qui ont pour objectif de distraire, de rassurer, parfois même d'éduquer, n'ont assurément pas le souci de la vérité, ni même celui de la vraisemblance. Pourtant, "histoire" vient du grec historia qui signifie "enquête" et l'histôr est "le témoin, celui qui a vu". Il semble donc que le lien entre la vérité et l'histoire soit beaucoup plus intime que ce que pourrait laisser penser son sens le plus large. Il est notable d'ailleurs que, bien souvent, les contes plongent leurs racines dans un passé légendaire ou mythologique, c'est-à-dire dans un univers certes fictif mais néanmoins possible.

En outre, l'histoire est cette discipline qui est enseignée à l'école. Chaque petit Français apprend au cours de sa scolarité, l'histoire de France : les grandes dates qui ont compté pour la constitution de cette nation, les grands héros historiques qui l'ont façonnée et la manière dont elle s'est progressivement construite pour devenir la République que l'on connaît aujourd'hui. Pour autant, cette histoire est souvent l'objet de critiques. Certains voient en elle un simple moyen d'édifier le peuple, de lui inculquer une conscience historique nationale, c'est-à-dire une façon propre de se rapporter à son passé collectif (on pense par exemple à l'expression typique du roman national : "nos ancêtres les Gaulois") et mettent en doute son caractère scientifique.

samedi 4 novembre 2017

"Nous attendons de l'historien une certaine qualité de subjectivité"

Commentaire

Histoire et vérité (1955) est un recueil rassemblant onze études du philosophe Paul Ricoeur (1913-2005). Ces études sont regroupées dans deux grandes parties : la première est consacrée à la vérité dans la connaissance de l'histoire et la seconde à la vérité dans l'action historique. La première est d'ordre méthodologique et la seconde éthique.  

Le texte ci-dessous se trouve au tout début de la première partie, dans la première étude intitulée "Objectivité et subjectivité en histoire". Ricoeur s'intéresse à l'exigence d'objectivité du métier d'historien et se demande si l'histoire peut se prêter à une connaissance en vérité selon les règles de la pensée objective mise en oeuvre dans les sciences. Pour répondre, il repère trois attendus à propos des sciences historiques : une certaine objectivité de l’histoire, la subjectivité impliquée de l'historien et le développement, chez le lecteur, d'une subjectivité de haut rang. Il pense ainsi l'histoire comme un tout comprenant la discipline scientifique elle-même, l'historien mais aussi le récepteur, à savoir le lecteur. 

vendredi 3 novembre 2017

"La plupart des erreurs viennent de ce que nous n'appliquons pas convenablement les noms des choses"

Commentaire

L'Ethique (1677) est l'ouvrage de Spinoza (1632-1677) le plus connu et le plus important. Ecrite selon l'ordre de démonstration propre aux géomètres, elle est composée de plusieurs définitions, axiomes, propositions et autres scolies qui sont des remarques complémentaires aux propositions. L'objectif de l'oeuvre est de permettre à l'homme de connaître les causes de sa servitude vis-à-vis des affects et d'en déduire les moyens de parvenir à la liberté et à la béatitude. Le cheminement de sa pensée prend Dieu comme point de départ (I : "De Dieu"), se poursuit par la définition de la nature de l'âme (II) puis de celle des passions (III), continue par l'analyse de leur force (IV) et s'achève sur la liberté (V).   

Le texte ci-dessous est un scolie de la Proposition 47 tirée de la Deuxième partie de l'Ethique : "De la nature et de l'origine de l'âme". Dans cette proposition, Spinoza affirme que l'homme peut avoir une connaissance adéquate de l'essence de Dieu. La seconde partie de son commentaire revient sur l'origine des erreurs et des controverses entre les hommes. Une grande partie des erreurs viendraient d'une mauvaise application des noms sur les choses, mais surtout d'un manque d'égard à la pensée d'autrui et aux erreurs d'interprétation qui en découlent. Contre ces erreurs, Spinoza en appelle à une attention plus grande aux choses et affirme l'unité de la pensée. 

dimanche 28 mai 2017

"Chaque matin nous serons à la veille de la fin des temps"

Commentaire

Dans "La fin de la guerre" (1945), texte initialement paru dans le premier numéro de la revue Les Temps modernes, Jean-Paul Sartre (1905-1980) donne son sentiment sur la nouvelle période qui s'ouvre après les terribles événements de la Seconde Guerre mondiale. Terminée en Europe après la capitulation de l'Allemagne nazie le 8 mai 1945, puis achevée définitivement sur le théâtre d'opération Asie-Pacifique le 2 septembre 1945 avec la capitulation du Japon, cette guerre totale propulse sur le devant de la scène deux grands vainqueurs : les Etats-Unis d'Amérique et l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). 

Le texte ci-dessous s'inscrit dans la ligne éditoriale de la revue des Temps modernes qui a pour objectif de produire certains changements dans la condition sociale de l'homme et dans la conception qu'il a de lui-même. Sartre revient sur l'indifférence et l'angoisse qui caractérisent, selon lui, cette fin de guerre. C'est que, si la guerre a pris fin, la paix n'a, en revanche, pas vraiment commencé. La paix semble être devenue un jeu continu de dégradés. Les derniers événements ont révélé que les puissances de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon) étaient finalement les nations les plus faibles, qui cèdent la place à deux superpuissances disposant de moyens colossaux. Mais surtout, ils ont montré le vrai visage de cette guerre : un avertissement de la fragilité humaine. Ils mettent l'homme face à sa responsabilité essentielle : c'est à lui qu'il appartient de définir le sens de l'histoire.

samedi 27 mai 2017

"L'histoire de toute société jusqu’à nos jours n'a été que l’histoire de luttes de classes"

Commentaire

Le Manifeste du parti communiste (1848) est un texte de Karl Marx (1818-1883) et de Friedrich Engels (1820-1895). Il a d'abord été publié anonymement en allemand. Il constitue le programme de la Ligue des communistes, organisation internationale fondée à Londres en 1847 et dont l'objectif est de faire connaître et de diffuser ses idées à travers le monde. La publication du manifeste est contemporaine des événements révolutionnaires de février 1848 en France qui aboutissent à la proclamation de la Deuxième République. 

Le texte ci-dessous se trouve au début du Manifeste. Dans un paragraphe introductif, Marx et Engels dressent le constat ironique du "spectre du communisme" qui inquiète les puissances de la vieille Europe ainsi que la Russie tsariste. Ils notent que l'épithète "communiste" est devenue une insulte. Ils en déduisent donc que le communisme est d'ores et déjà reconnu comme "une puissance" à part entière par les autres puissances d'Europe. Le Manifeste vise à exposer les conceptions, les buts et les tendances du communisme et à expliquer pourquoi comparer le communisme à un fantôme n'est qu'un conte destiné à effrayer les peuples. 

mercredi 24 mai 2017

"Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion"

Commentaire

La Raison dans l'Histoire constitue l'introduction des Leçons sur la philosophie de l'histoire (1837) de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). Ces leçons ont été publiées après la mort de l'auteur, à partir des notes de cours prises par ses étudiants. Dans cette introduction, Hegel explique que la raison est à l'oeuvre dans l'histoire, c'est-à-dire que, contrairement aux apparences, l'histoire ne se réduit pas au déroulement d'une série de faits désordonnés et chaotiques, mais réalise le développement de la rationalité. Il existe donc un sens de l'histoire vers plus de droits et de libertés.

Le texte ci-dessous est extrait de la partie consacrée au matériel de la réalisation de l'Esprit. Hegel vient de souligner les conséquences désastreuses des passions humaines qui entraînent un déchaînement de violences et de destructions de toute sorte. Mais il ne s'arrête pas à ce constat. Il cherche à comprendre à quelle fin tous ces immenses sacrifices sont accomplis. Ainsi, il estime qu'ils sont, en réalité, les moyens mis au service d'une cause supérieure : la réalisation et la prise de conscience de l'Esprit par lui-même, l'Esprit désignant l'unité entre la réalité et la pensée. Dans l'histoire, le négatif apparaît comme le moyen pour le positif d'advenir, les passions ne s'opposent pas à la raison, mais sont la condition de son développement.

dimanche 21 mai 2017

"On peut considérer l'histoire de l'espèce humaine comme l'exécution d'un plan caché de la nature"

Commentaire

L'Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784) est un article du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) qui comprend une introduction et neuf propositions. Pour Kant, les actions humaines, comme tout autre événement naturel, obéissent aux lois universelles de la nature. Lesquelles ? C'est ce qui n'est pas évident à déterminer car il faut prendre en considération le rôle de la liberté du vouloir humain. Mais de même que des études statistiques permettent de mieux saisir les régularités des comportements humains, Kant estime possible de trouver un fil conducteur à l'histoire.

Le texte ci-dessous constitue la Huitième proposition de l'ouvrage. Dans la proposition précédente, la septième, Kant note que les Etats se comportent au niveau international comme les individus à l'état de nature : ils entrent en conflit. Or, l'état civil naît de ces antagonismes et de la nécessité d'y mettre un terme en instituant un ordre qui garantisse à chacun des droits. La nature utilise ainsi les pulsions destructrices des hommes pour les amener là où la raison simple aurait dû les conduire. En tant que telle donc, la coexistence pacifique des nations n'adviendra pas de la seule sagesse des nations, mais sera le fruit d'un processus similaire à celui qui a mené les individus vers la société civile, c'est-à-dire un processus traversé par de violents sursauts tels que les guerres ou les révolutions et suivi par la compréhension de la nécessité de juridiciser et de moraliser les relations entre les Etats.

mercredi 17 mai 2017

"Les hommes acceptent sans examen les récits des faits passés" 

Commentaire


La Guerre du Péloponnèse (fin du Ve siècle av. J.-C.) narre les premières années du conflit qui a opposé de 431 à 404, les deux grandes cités grecques antiques : Sparte avec la ligue du Péloponnèse et Athènes avec la ligue de Délos. Elle est l'oeuvre de l'historien athénien Thucydide (460-395 av. J.-C.). Elle constitue l'un des premiers textes d'histoire avec l'Enquête (445 av. J.-C.) d'Hérodote qui décrit les guerres médiques opposant les Grecs aux Perses de 490 à 479 av. J.-C. Elle est généralement considérée comme le premier récit historique fidèle et rigoureux, l'ouvrage d'Hérodote étant encore marqué par la mythologie. 

Le texte ci-dessous rassemble trois chapitres (XX, XXI et XXII) tirés du livre I sur les huit que contient l'oeuvre. Il est consacré à l'analyse des causes de la guerre. Cette recherche des causes véritables est tout à fait inédite à l'époque dans l'analyse historique. Thucydide étudie comment Athènes, dans les cinquante années qui ont suivi la victoire sur les Perses, est parvenue à constituer un empire dont l'accroissement inquiétait les Lacédémoniens, poussant ainsi ces derniers à déclencher la guerre, suivis par leurs alliés, qui craignaient pour leur indépendance. L'explication classique par les griefs de chaque camps laisse la place à une analyse qui tient compte de la situation politique, ainsi que du contexte socio-économique. Les causes des événements ne sont plus à rechercher en dehors du monde humain, mais à l'intérieur de celui-ci, tenant compte des ambitions des cités et de leurs dirigeants. 

Cours - Le langage

Introduction

Tout langage fonctionne au moyen d'un système de signes permettant la compréhension mutuelle entre un émetteur et un récepteur. Ces signes peuvent être de nature très différente. Le langage que nous utilisons chaque jour pour nous exprimer est composé de mots, mais il existe aussi un langage informatique, un langage des fleurs et même un langage des abeilles. Le langage n'est donc pas nécessairement à restreindre aux langues propres à un pays, à la langue française par exemple. Il permet de communiquer, c'est-à-dire, si l'on suit l'étymologie latine du verbe communicare, de "partager" et de "mettre en commun" une information.

Mais peut-on être certain que les langages comme le langage informatique ou le langage des abeilles soient à mettre sur le même plan que les langues que nous utilisons pour exprimer nos pensées ? Le langage informatique n'est en fait qu'un code servant à la programmation. Il est destiné à exploiter un certain nombre d'informations présentes dans la mémoire d'une machine informatique. Mais il semble beaucoup moins complexe que le langage que nous utilisons pour nous exprimer. De même, le langage des abeilles désigne les danses qui permettent aux abeilles de se transmettre entre elles la localisation du nectar indispensable à la fabrication du miel. Mais a-t-on déjà vu une abeille faire une blague à une autre en lui indiquant une mauvaise direction ? 

dimanche 14 mai 2017

"Dire, c'est faire"

Commentaire

Quand dire, c'est faire (1962) est un ouvrage du philosophe anglais John Langshaw Austin (1911-1960) qui met en évidence l'existence d'énoncés performatifs, c'est-à-dire constituant une action particulière en même temps qu'ils sont énoncés. Jusqu'à sa découverte, les philosophes considéraient que tous les énoncés étaient susceptibles d'être considérés comme vrais ou faux. Austin amène à distinguer les énoncés constatifs qui ont une valeur de vérité des énoncés performatifs qui n'ont pas cette valeur.

Le texte ci-dessous analyse quelques exemples de phrases qui présentent comme spécificité d'être performatives. L'adjectif performatif a la même racine que performance, mot qui vient de l'anglais to perform "effectuer", lui-même venant du verbe ancien français parformer qui signifiait "accomplir, exécuter ; achever". Les idées d'accomplissement, d'exécution et d'achèvement sont donc primordiales dans ce type d'énoncés. Il faut souligner également que le statut du locuteur importe puisque c'est grâce son statut particulier qu'il parvient à créer des effets avec son énoncé : c'est le mari qui dit "oui", la reine qui baptise le bateau, le mourant qui rédige son testament ou le joueur qui parie.

"Pour les poètes, les mots sont à l'état sauvage"

Commentaire

Qu’est-ce que la littérature ? (1948) est un manifeste où Jean-Paul Sartre (1905-1980) défend sa conception d'une littérature engagée, c’est-à-dire dont l'ambition est d'avoir une influence sur le réel en prenant position en faveur d’une cause éthique, politique ou religieuse. Cet essai qui est, en réalité, un recueil de plusieurs articles, répond à trois questions : "qu’est-ce qu’écrire ?", "pourquoi écrire ?" et "pour qui écrit-on ?". 

Le texte ci-dessous se situe au début du livre, dans la partie "qu’est-ce qu’écrire" et cherche à déterminer quelle est la spécificité du langage poétique. La thèse de l’auteur est que le poète se retire de l’utilisation quotidienne et banale du langage qui sert d’instrument pour se faire comprendre. L’enjeu est de faire apparaître que le langage poétique ne sert pas la communication comme le langage quotidien, mais le langage lui-même. Si la littérature peut et même doit être engagée, la poésie au contraire, parce qu'elle n'a aucune vocation utilitaire, ne doit pas être engagée.

vendredi 12 mai 2017

"La fonction primitive du langage est d'établir une communication en vue d'une coopération"


Commentaires

La pensée et le mouvant (1934) est un recueil d'articles du philosophe Henri Bergson (1859-1941) écrits entre 1903 et 1923. Il comprend deux essais introductifs rédigés spécialement à cette occasion et qui occupent, à eux-seuls, le tiers du volume : le premier s'intitule "Connaissance de la vérité". Il constitue une critique du recours au système en philosophie qui aurait pour défaut principal de négliger la question du temps. Le second qui s'intitule "De la position des problèmes" compare les modes de connaissance intuitif et intellectuel, tous deux valables, et ouvre donc la voie à une collaboration entre la métaphysique et la science.

Le texte ci-dessous est extrait du second essai introductif. Peu avant, Bergson a défini l'intelligence comme "la manière humaine de penser" et expliqué que celle-ci avait pour but la connaissance de la matière. Il l'a distinguée de ce qu'il appelle l'intuition, autre fonction intellectuelle, mais qui a pour but la connaissance de l'esprit. Si l'intelligence relève de la science, l'intuition est propre à la métaphysique. Entre les deux, on trouve la science de la vie sociale (sociologie) et de la vie organique (biologie), la première plus intuitive et la seconde plus intellectuelle, mais chacune marquée par le souci de la précision. Toutes ces disciplines recourent au langage, outil qui pour fonction essentielle d'assurer la vie sociale. Mais peut-il être un moyen approprié pour la philosophie et pour les sciences ?

jeudi 11 mai 2017

"Les premières langues sont filles du plaisir et non du besoin"

Commentaire

Sous-titré Où il est parlé de la Mélodie et de l’imitation musicale, l’Essai sur l’origine des langues (1781) est un texte posthume de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui peut se lire comme un complément au Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) de l’aveu même de son auteur et parce qu’on y lit une réflexion à la fois sur la musique et sur les fondements de la société. L’argument central de cet essai est que les premières langues furent l’expression des passions. En comparant la langue grecque ancienne d’Homère à la prosodie moderne, Rousseau estime qu’il s’est produit une perte de vocalité de la langue remplacée par l’articulation liée à la dimension de l'écriture, ou pour le dire plus simplement : la langue de la raison (le français) a remplacé la langue du cœur (le grec).

Dans le chapitre IX dont est extrait le texte ci-dessous, Rousseau s'applique avec un certain lyrisme à expliciter la différence des langues entre le Nord et le Sud : les langues méridionales sont nées des passions et s’opposent aux langues du Nord, nées des besoins. Or les langues méridionales sont nées les premières, en lien avec les passions, et disposent pour cette raison d’une musicalité et d’une chaleur indéniable. Malheureusement regrette Rousseau, ce sont les langues du Nord qui semblent désormais l’emporter.

mercredi 10 mai 2017

"La parole ne convient qu'à l'homme seul"

Commentaire

Dans sa Lettre au marquis de Newcastle datée du 26 novembre 1646, René Descartes (1596-1650) affirme qu'il existe une différence de nature entre l'homme et l'animal. Il s'oppose ainsi frontalement à Montaigne et à certains autres philosophes qui attribuent la pensée aux animaux. En lien avec sa thèse des animaux-machines (exposée en 1637 dans le Discours de la méthode, V) selon laquelle les animaux sont des automates, de simples assemblages mécaniques, il estime qu'ils sont dépourvus de langage et de pensée.

Montaigne (1533-1592), dans ses Essais (II, 12, "Apologie de Raymond Sebond"), condamne la présomption et l'orgueil de l'humanité qui se place au-dessus du règne animal. Il prend une certaine distance avec la tendance consistant à attribuer aux bêtes la bêtise et se demande même si lorsqu'il joue avec sa chatte, celle-ci ne s'ennuie pas plus rapidement de lui, que lui d'elle. Il observe également que les animaux sont capables de communiquer entre eux, ce qui tendrait à infirmer l'idée qu'ils n'auraient pas de langage. Pierre Charon (1541-1603), moraliste français, transposa les Essais de Montaigne dans son Traité de la Sagesse. Comme lui, il pense qu'il existe une différence de degré entre l'homme et l'animal. Plutarque (45-120) est à ranger parmi les "quelques autres" qui sont de l'avis de Montaigne et de Charron, c'est lui qui écrit en effet le premier qu'"il y a plus de différence de tel homme à tel homme qu’il n’y a de tel homme à telle bête" (De l'inégalité qui est entre nous).

"J'appelle pensée un discours que l'âme se tient à elle-même"

Commentaire


Le Théétète (368 av. J.-C.) est un dialogue de Platon (428-348) de la période dite de maturité. Les principaux protagonistes sont Socrate ainsi que deux mathématiciens : Théodore et Théétète qui donne son nom au dialogue. Le sous-titre du dialogue est Sur la science. Il s'ouvre sur la critique du relativisme sensualiste qui se résume par l'affirmation de Protagoras selon laquelle l'homme serait la mesure de toute chose, ce qui revient selon Socrate à donner à chacun le droit de la déclarer fausse.

Le texte ci-dessous se trouve à la suite de l'examen d'une première définition de la science. Socrate vient de conclure avec Théodore que la science est autre chose que la sensation. Il envisage donc qu'elle soit du côté de l'âme et, plus précisément, le fruit d'une opération de l'esprit qui s'appelle le jugement. Mais la science ne peut pas se confondre avec tous les jugements puisqu'il existe des jugements faux. Socrate entreprend donc de déterminer comment peuvent se former dans l'âme de faux jugements. C'est alors qu'il analyse le problème du point de vue de la pensée en examinant s'il est possible pour un sujet qui pense de se dire à soi-même qu'une chose est une autre.

lundi 8 mai 2017

Cours - L'existence et le temps


Introduction

L'existence et le temps sont deux notions qui entretiennent un rapport de sens. L'existence désigne le fait d'être et le temps correspond au milieu dans lequel l'existence se déroule. Ce temps de l'existence est marqué par un début, la naissance, et une fin, la mort. L'existence se confond ainsi avec la vie elle-même. Elle interroge par voie de conséquence notre relation à la mort, qui peut être une source légitime d'inquiétudes et d'angoisses, voire engendrer de véritable crises "existentielles", c'est-à-dire une remise en cause de ce qu'on croyait être le sens de l'existence. 

Mais le temps peut aussi être appréhendé comme une notion indépendante de l'existence humaine. Il est alors ce temps divisé en heures, minutes, secondes, un temps chronométré et objectif qui règle nos vies (heure du lever, du coucher). Son écoulement est irréversible, les voyages dans le passé ou dans le futur, outre les difficultés logiques qu'ils posent (qu'advient-il du présent si l'on change le passé ?) semblent possibles seulement dans les films ou les romans. Le temps présente aussi une dimension insaisissable, le présent n'étant finalement jamais fixe, davantage à imaginer comme un écoulement permanent, nous n'aurions le choix que de vivre dans l'avenir ou dans le passé. 

dimanche 7 mai 2017

"L'existence n'est pas la nécessité"

Commentaire

Dans La Nausée (1938), Jean-Paul Sartre (1905-1980) raconte l'histoire d'un professeur de province de trente-cinq ans, Antoine Roquentin, qui vit seul à Bouville, cité imaginaire ressemblant au Havre où Sartre avait enseigné au début de sa carrière. Il travaille à l'écriture d'une thèse ayant pour sujet un certain marquis de Rollebon. En ramassant un galet au bord de la plage, Roquentin s'aperçoit que sa perception des objets a changé et il commence à tenir un journal, écrit à la première personne, constituant le texte du roman afin de comprendre l'origine de ce changement.

Le texte ci-dessous est relatif à l'expérience de l'existence faite par le héros et qu'il exprime comme une "Nausée". Si la nausée est communément définie comme une envie de vomir, elle renvoie étymologiquement à la sensation de malaise que ressent le marin sur un bateau qui tangue (nausea en latin désigne le "mal de mer" et le "navire" en grec se dit naus). Elle exprime également un sentiment de dégoût que l'on peut éprouver à l'égard de soi-même et des autres. Ces différentes acceptions se retrouvent dans l'expérience de la Nausée réalisée par le jeune doctorant. Elle désigne plus spécifiquement chez Sartre la compréhension par l'homme du caractère contingent de chaque chose : tout ce qui existe aurait pu ne pas être. En saisissant que rien n'est nécessaire, y compris son existence propre, le héros est pris d'une forme d'écoeurement face à une existence que plus rien ne justifie.

samedi 6 mai 2017

"La durée toute pure est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre"

Commentaire

L'Essai sur les données immédiates de la conscience (1889) constitue la thèse de doctorat du philosophe Henri Bergson (1859-1941). Son propos consiste à mettre en garde contre la tendance de l'esprit à penser dans l'espace. Or, si cette tendance est utile dans la vie pratique et dans les sciences, elle l'est moins lorsqu'il s'agit d'appréhender des phénomènes qui n'occupent pas d'espace comme par exemple les phénomènes psychiques. Nous appréhendons en effet l'espace extérieur en réalisant un découpage dans le réel : nous distinguons les objets matériels et nous leur assignons un nom précis. Mais est-ce que cette manière de voir est encore valable lorsque nous essayons d'appréhender une réalité immatérielle comme le temps ?

Le passage ci-dessous est extrait du chapitre II intitulé "De la multiplicité des états de conscience : l'idée de durée". Il constitue un passage clé au sens où il présente la définition du concept de durée. Bergson, en effet, critique la conception de l'école anglaise qui consiste à rabattre tous les rapports d'étendue à des rapports de succession dans la durée. C'est pourquoi il distingue deux types de durée : la durée où intervient la notion d'espace, comprise comme succession et la durée qu'il juge "toute pure", c'est-à-dire indépendante de la notion d'espace, comprise donc comme simultanéité.

mercredi 3 mai 2017

"Cette vie, il te faudra la vivre encore une fois"

Commentaire

Le Gai Savoir (1882) est une oeuvre de Friedrich Nietzsche (1844-1900) composée initialement de quatre livres auxquels Nietzsche a ajouté une Préface et un cinquième livre à l'occasion d'une seconde édition en 1887. Nietzsche se fait le défenseur d'une science libérée de toute croyance allant à l'encontre de la vie et affirme la possibilité d'un "gai savoir" au service de la vie. Il annonce "la mort de Dieu" (III, § 125) qui signifie la disparition de l'influence structurante de la religion chrétienne sur notre manière de penser. Il cherche à mettre en place de nouvelles valeurs et c'est dans cet optique que la doctrine de l'éternel retour va lui servir d'instrument.

Le texte ci-dessous constitue le paragraphe 341 (IV) du Gai Savoir consacré à cette doctrine de l'éternel retour. Dans le paragraphe qui précède (§ 340), Nietzsche revient sur les dernières paroles de Socrate avant sa mort : "Oh, Criton, je dois un coq à Asclépios" (le dieu de la médecine dans la mythologie grecque). Nietzsche interprète ces mots comme l'aveu d'une conception de la vie qu'il condamne et qui consisterait à la voir comme une maladie. Nietzsche appelle ainsi de ses voeux un dépassement non seulement du christianisme, mais des Grecs eux-mêmes au sens où Socrate, ayant pourtant vécu gaiement se serait contenter de faire bonne figure. La doctrine de l'éternel retour se veut une façon de réaliser ce dépassement et d'aimer la vie pour ce qu'elle est, sans crainte ni ressentiment.

mercredi 26 avril 2017

"Nous ne nous tenons jamais au temps présent"

Commentaire

Les Pensées (1670) sont un recueil de fragments et d'aphorismes rassemblés de Blaise Pascal (1623-1662). Elles sont à l'origine destinées à fournir la matière d'un livre dont l'objet est une apologétique chrétienne, c'est-à-dire un écrit en faveur de la justification et de la défense de la religion chrétienne. L'un des thèmes chers à Pascal est celui du divertissement : l'homme ne supportant pas de demeurer seul face à lui-même, se livre à des occupations futiles afin de se détourner de sa condition mortelle et misérable. 

Le texte ci-dessous constitue le fragment 43 dans l'édition Le Guern. Il traite de la manière dont l'homme vit dans le temps. Selon Pascal, l'homme tend à oublier le moment qu'il vit au profit des moments dont il se rappelle ou de ceux qu'il entrevoit. Préoccupé du passé ou du futur, il ne coïncide jamais avec le moment présent. Cette absence de coïncidence est à mettre en relation avec la notion de divertissement mais aussi avec celle de vanité qui conduit l'homme à prétendre à davantage que ce qu'il possède, souvent pour son propre malheur. 

"Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre, je l’ignore"

Commentaire

Les Confessions (397-401) sont une oeuvre à vocation autobiographique écrite par Augustin d'Hippone, plus connu sous le nom de Saint Augustin (354-430). L'ouvrage comporte treize livres, les neuf premiers sont consacrés au récit de la vie d'Augustin de son enfance à sa conversion au catholicisme et les quatre derniers, plus philosophiques, s'offrent comme une réflexion sur la mémoire, le temps et, plus généralement, comme une méditation sur la création divine. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre XI, chapitre XIV intitulé "Qu'est-ce que le temps ?". Le livre XI est consacré au rapport du temps et de la création divine. Augustin établit que Dieu a créé le temps et qu'il n'existe donc pas de temps avant lui, Dieu étant extérieur du temps. Ainsi la question consistant à demander ce que Dieu faisait avant le temps n'a pas de sens. Elle revient à rester prisonnier de l'instabilité du temps et de l'impossibilité pour un esprit humain de penser l'éternité de Dieu. Le temps passe, mais pas l'éternité où tout est présent et qui reste identique à elle-même.

jeudi 20 avril 2017

"La mort n'est rien pour nous"

Commentaire

La Lettre à Ménécée d'Epicure (341-270 av. J.-C.) se présente comme un guide pratique et thérapeutique à destination de ceux qui souhaiteraient savoir comment orienter leur conduite dans la vie et qui aimeraient trouver un remède aux fausses opinions de l'âme générant des peurs telles que celles de la mort. Epicure commence sa lettre en exposant les fondements de sa morale que l'on peut condenser en quatre formules et qui forment ensemble ce qu'on appelle le tetrapharmakos ou "quadruple remède" : les dieux ne sont pas à craindre, la mort n'est rien, le bonheur est possible, la douleur est aisée à supporter. 

Le texte ci-dessous se trouve au début de la Lettre. Il est question ici plus spécifiquement du deuxième remède, celui servant à lutter contre la crainte de la mort. Epicure montre comment il est possible de s'en débarrasser par un exercice de pensée qui suit une méthode rationnelle. Il s'appuie sur une doctrine physique matérialiste selon laquelle l'âme est corporelle et composée d'atomes. Par conséquent, l'âme ne survit pas après la mort du corps mais disparaît avec lui. 

Cours - Autrui

Introduction

Autrui renvoie tout d'abord à ce qui est extérieur à moi, à ce qui n'est pas moi, à ce qui est autre. En ce sens, il est ce qui est distinct, différent, voire étranger. Autrui peut apparaître comme une limite, un obstacle ou même une menace. En effet, la relation que l'on entretient avec cet autre peut devenir conflictuelle en ce qu'il s'oppose à nos propres désirs et résiste à notre volonté. On pourrait être tenté de conclure comme Garcin dans Huis clos  que "l'enfer, c'est les autres" (Sartre).

Cependant, autrui renvoie aussi à ce qui est comme moi, à ce qui m'est proche ("mon prochain"), à ce qui me ressemble ("mon semblable"), voire à un autre moi-même ("l'alter ego", "l'autre moi"). L'amitié et même l'amour sont des exemples d'une relation positive à autrui, allant parfois jusqu'à un rapport fusionnel. Ainsi, ceux qu'on désigne comme "les autres" ne sont jamais complètement extérieur à nous, ils sont perçus comme "autre" seulement parce qu'ils partagent quelque chose de commun. Il ne viendrait à l'idée de personne de considérer comme "autre", les animaux, les végétaux ou quelque genre que ce soit. Autrui ce n'est pas n'importe quoi ou n'importe qui.

mercredi 29 mars 2017

"Le lien avec autrui ne se noue que comme responsabilité"

Commentaire

Ethique et Infini (1981) regroupe une série d'entretiens radiodiffusés du philosophe Emmanuel Levinas avec l'historien des idées Philippe Nemo. Ces entretiens constituent une présentation succincte de sa philosophie inspirée par la lecture de la Bible et du Talmud. L'un des points fondamentaux de cette pensée est l'intérêt qu'elle porte à la manière dont autrui apparaît à la conscience, notamment à travers son visage. Celui-ci ne se réduit pas à ses caractéristiques physiques mais renvoie à une transcendance, à quelque chose d'extérieur à lui dont la signification est éthique. 

Le texte ci-dessous est extrait du huitième des dix entretiens que compte l'ouvrage. Dans l'entretien précédent, Levinas a déclaré que "le visage est ce qu'on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire : "Tu ne tueras point"". Cela signifie que le visage d'autrui n'apparaît pas à la conscience comme un objet, mais qu'il fait signe vers quelque chose d'autre, une présence énigmatique, celle de Dieu, qui me commande de ne pas tuer. En effet, le visage d'autrui m'apparaît dans sa vulnérabilité essentielle, dans un dénuement absolu, sans défense. Ainsi la relation à autrui est éthique : il y a dans le visage quelque chose qui me parle et qui m'ordonne de ne pas tuer. 

lundi 27 février 2017

"Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte de moi tel que j’apparais à autrui"

Commentaire

L'Être et le néant (1943) est, comme l'indique son sous-titre, un Essai d'ontologie phénoménologique. S'inscrivant dans la lignée de la phénoménologie husserlienne, Sartre part de l'idée que toute conscience est toujours conscience de quelque chose. Mais il remarque aussi que cette conscience est, en même temps, conscience de ce qu'elle n'est pas, conscience de son néant. L'homme se trouve donc placé face à lui-même et son mode d'être est radicalement différent de celui des choses qui l'entourent : alors que leur essence résume ce qu'elles sont, chez l'homme, l'existence précède l'essence. Autrement dit, l'homme doit composer avec une liberté fondamentale qui ne lui dicte rien. Exister, c'est avoir à être, c'est devoir se construire librement et indépendamment de toute nécessité.

Le texte ci-dessous est extrait de la troisième partie des quatre parties que compte l'ouvrage et qui est intitulée "Le pour autrui". Le chemin de pensée est le suivant : tout d'abord, Sartre part de la conscience qu'il relie au problème du néant (toute conscience est conscience de quelque chose et conscience de n'être pas cette chose). Sartre poursuit son analyse et en arrive au pour soi qui est la manière d'être de l'existant humain : manque d'être, il est incapable de coïncider avec lui-même, c'est là le fondement ontologique de la conscience. Enfin, il aboutit au pour autrui : c'est autrui qui permet à la conscience de revenir à soi. L'exemple de la honte sert justement à montrer qu'autrui est le seul moyen pour la conscience de devenir conscience de soi.

lundi 6 février 2017

"L'autre est aussi une conscience de soi"

Commentaire

La Phénoménologie de l'Esprit (1807) est une oeuvre de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) qui cherche à retracer les processus à l'oeuvre dans la conscience. L'évolution de la constitution de cette conscience est dialectique au sens hégélien du terme, c'est-à-dire qu'elle suit un processus qui se confond avec l'essence même de la conscience.

Le texte ci-dessous est extrait de la quatrième partie consacrée à la vérité de la certitude de soi-même. Hegel dans les parties I à III s'est concentré sur la conscience simple. Dans la partie IV, il aborde la manière dont cette conscience devient conscience de soi, c'est-à-dire connaissance de soi-même. Cette conscience de soi ne peut intervenir qu'à travers la reconnaissance d'une autre conscience. Autrement dit, ce n'est que dans et par la relation avec une autre conscience qu'une conscience de soi est possible. L'enjeu du texte est donc de rendre compte d'un point de vue logique de ce qu'il se passe dans la conscience lorsque celle-ci en rencontre une autre.

mercredi 1 février 2017

"Le respect s'applique toujours uniquement aux personnes, jamais aux choses"

Commentaire

La Critique de la raison pratique (1788) est un ouvrage d'Emmanuel Kant (1724-1804) qui vise à expliquer ce qui détermine un individu à agir moralement. Sachant que l'agir pour être moral doit être chez Kant complètement désintéressé, qu'est-ce qui va pousser un individu à agir comme tel ? Le terme clé est celui de liberté. Elle est définie par Kant comme autonomie, c'est-à-dire comme capacité pour un sujet à se donner à lui-même sa propre loi et donc, à agir pour des mobiles internes et non externes à lui. Comme exemple de mobiles externes, nous pouvons citer le bonheur ou le plaisir. Que va donc être ce mobile interne, principe subjectif qui va déterminer la volonté à agir moralement ?

La notion de respect introduite par Kant cherche à répondre à cette question. Le mobile moral ne peut pas être sensible, sinon il serait extérieur au sujet, ce qui le rendrait hétéronome (il tiendrait sa loi d'autre chose que lui-même). Il ne peut pas non plus être purement intelligible, car l'homme étant un être doté de sensibilité, ce mobile serait inefficace, de l'ordre seulement de l'idée. Il faut donc supposer l'existence d'un sentiment déterminé a priori. L'"Analytique de la raison pratique" (I, 1) et, plus précisément, son chapitre III portant sur les mobiles dont est extrait le texte ci-dessous révèle que le respect est un sentiment qui élève en même temps qu'il humilie devant la loi. 

dimanche 29 janvier 2017

"Parce que c'était lui, parce que c'était moi"

Commentaire

C'est en 1580 que Michel de Montaigne (1533-1592) fait publier la première édition de ses Essais commencés huit ans plus tôt en 1572 (la première édition est composée de deux tomes, un troisième est ajouté dans l'édition de 1588). Son objectif est de se peindre lui-même le plus simplement et le plus naturellement possible afin de donner à voir, en miroir, l'humaine condition. Les Essais sont ainsi constitués de diverses réflexions et ponctués par de nombreuses citations d'auteurs pour la plupart de l'Antiquité grecque et latine. Les thèmes évoqués sont très différents d'un essai à l'autre, Montaigne préférant cheminer "à sauts et à gambade" (III, 9). Ils portent par exemple sur les cannibales (I, 31), le suicide (II, 3) ou encore sur la vanité (III, 9). 

Dans l'essai intitulé "De l'amitié" (I, 28), Montaigne évoque la relation qu'il a nouée avec Etienne de La Boétie (1530-1563). Il le rencontre en 1558, il est alors âgé de 25 ans et La Boétie de 28. Il est tout de suite séduit par cet homme, de trois ans son aîné, auteur d'un écrit politique corrosif que Montaigne a lu : De la servitude volontaire (écrit probablement en 1546 ou en 1548, à seulement 16 ou 18 ans). En 1563, La Boétie contracte la peste et meurt en quelques jours. Montaigne l'accompagne jusqu'à son dernier souffle et demeure inconsolable. Pour décrire cette amitié hors du commun, il ne trouve pas d'autres justifications que celle-ci : "Si l'on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer, qu’en répondant : "Parce que c’était lui, parce que c’était moi"."

jeudi 19 janvier 2017

"Si l’œil veut se voir lui-même, il faut qu’il regarde un autre œil"

Commentaire

Il existe deux Alcibiade : le Premier Alcibiade, aussi appelé Alcibiade majeur est un dialogue platonicien qui porte principalement sur les qualités que doit posséder un homme politique. Le Second Alcibiade, aussi appelé Alcibiade mineur, porte sur la prière. C'est un dialogue attribué à Platon mais considéré par certains traducteurs (Victor Cousin notamment) comme apocryphe, c'est-à-dire que l'on n'en connait pas l'auteur avec certitude (Xénophon pourrait l'avoir écrit). L'ordre premier ou second distinguant ces deux dialogues ne repose pas sur une chronologie mais sur la qualité intrinsèque de ces dialogues, l'Alcibiade majeur exposant quelques-uns des thèmes fondamentaux de la pensée platonicienne alors que le mineur comporte plusieurs obscurités et même des contradictions avec cette pensée.

Le texte ci-dessous est extrait du Premier Alcibiade sous-titré Sur la nature de l'homme. Ce dialogue met en scène Socrate et Alcibiade, un jeune homme ambitieux qui envisage de faire carrière en politique. Socrate affirme être le seul en mesure de le former convenablement. Il lui montre tout d'abord que la politique exige une connaissance du juste et que le juste et l'utile sont une seule et même chose : tout ce qui est beau est bon et inversement. Il l'invite ensuite à se connaître lui-même avant de gouverner. Pour Socrate en effet, on ne peut pas s'occuper des affaires des autres si on ne se connaît pas soi-même. Il invite donc Alcibiade à réfléchir sur la fameuse inscription qui se trouve sur le fronton du temple de Delphes : "connais-toi toi-même".