samedi 29 octobre 2016

"Le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse"

Commentaire

La Lettre à Ménécée est une lettre écrite par Epicure (341-270 av. J.-C.) à son disciple Ménécée. Elle propose une méthode pour atteindre le bonheur, considéré par Epicure comme le souverain bien. Son originalité consiste à identifier le bonheur au plaisir et le plaisir au bien. Le postulat d'Epicure est que, naturellement, tout être recherche le plaisir et fuit la douleur. A partir de là, la philosophie épicurienne se donne comme objectif de permettre à l'homme de renouer avec le principe de plaisir qui rend la vie heureuse. Mais pour que le plaisir reste le plaisir, il doit être modéré par un travail rationnel et par la vertu de prudence.

Le texte ci-dessous se situe juste après la partition des désirs en naturels et nécessaires, naturels et non nécessaires et non naturels et non nécessaires. Seuls les désirs naturels et nécessaires mènent à la vie heureuse car ce sont les désirs indispensables à la santé du corps et à l'absence de trouble dans l'âme. De surcroît, ces désirs sont aisés à satisfaire, contrairement aux deux autres types de désirs. Les désirs naturels mais non nécessaires peuvent être recherchés seulement s'ils n'impliquent pas de souffrance, ce sont par exemple les satisfactions esthétiques ou sexuelles. Enfin, les désirs non naturels et non nécessaires sont à éviter car ils ne sont pas appropriés à ce que nous sommes, ce sont par exemple les honneurs ou les richesses.

jeudi 27 octobre 2016

"La félicité et le bonheur ne sont pas l'oeuvre d'une seule journée".

Commentaire

Ethique à Nicomaque est un ouvrage d'Aristote (384-322 av. J.-C.) dédié à son fils (Nicomaque) dont le sujet principal est la morale. Le bonheur s'y trouve définit comme le Souverain Bien, c'est-à-dire le bien suprême. Pour Aristote, le bonheur est ce qui réalise pleinement la fonction de l'homme qui est de vivre conformément à la raison de manière excellente. Or cela nécessite un entraînement, une certaine virtuosité, pour s'accomplir effectivement. Le souverain bien ne peut être le même pour tous, contrairement à ce que pensait Platon avec son Idée du Bien. Il varie selon l'individu et s'incarne dans une multiplicité de cas différents, d'où la nécessité d'apprendre à connaître les autres et à se connaître soi-même.

Le passage ci-dessous est extrait du livre I, chapitre 6. Peu avant, Aristote constate que les hommes ont tendance à tous assimiler le fait de bien vivre et de réussir au bonheur, mais qu'ils ne parviennent pas à s'entendre sur une définition plus précise. En réalité, les hommes jugent du bonheur en fonction de la vie qu'ils mènent : le jouisseur estime les plaisirs de la chair ; le riche fait l'éloge du gain et de l'argent ; le politicien recherche le pouvoir et les honneurs. Mais pour Aristote, le bonheur ne réside pas ni dans ces contingences extérieures, ni dans leur suppression. Pris comme fin en soi, les plaisirs sont abêtissants, les richesses insuffisantes et les honneurs trop superficiels. C'est un certain rapport qu'il faut introduire entre ces contingences et nous pour être heureux : la vertu, l'excellence, c'est d'abord la juste mesure.

lundi 24 octobre 2016

Cours - Le devoir

Introduction

Le devoir est une obligation morale. Par exemple, lorsqu'on vote, on effectue ce qu'on appelle "notre devoir de citoyen". Il n'existe pas en France, à l'heure actuelle, d'obligation juridique à voter : il est possible de s'abstenir, c'est-à-dire de ne pas prendre part au vote. On remarque ainsi qu'une obligation morale n'est pas la même chose qu'une obligation juridique : l'obligation juridique est une loi contraignante dans la mesure où le non accomplissement de l'action entraîne une sanction juridique. Dans le cas de l'obligation morale, il n'y a pas de sanction. En outre, si dans les deux cas, on trouve une certaine conception du bien et du mal, l'obligation morale est plus exigeante car l'action est jugée à partir de la représentation d'un comportement idéal alors que l'obligation juridique ne définit que ce qu'on attend minimalement d'un citoyen lambda. 

S'il faut distinguer le devoir et l'obligation juridique, c'est parce qu'il suppose un acte à la fois volontaire et libre. La loi nous oblige à faire certaines choses comme par exemple de payer nos impôts. Elle ne nous oblige pas, en revanche, à faire des dons à des associations caritatives. Nous voyons ici que l'action accomplie par devoir nécessite plus de volonté et implique plus de liberté que dans le cas où la loi nous oblige. Il reste que dans le devoir aussi il y a une part d'obligation : lorsque nous accomplissons une tâche par devoir, c'est souvent parce que nous nous sentons redevables. D'ailleurs, étymologiquement, le devoir vient du verbe latin debere qui signifie "être redevable de quelque chose à quelqu'un". Le devoir est l'expression d'une dette en quelque sorte. 

jeudi 20 octobre 2016

"Autant qu’il pût en juger, Eichmann agissait, dans tout ce qu’il faisait, en citoyen qui respecte la loi"

Commentaire

Eichmann à Jérusalem (1963), sous-titré Rapport sur la banalité du mal, est un livre écrit par Hannah Arendt (1906-1975) qui fait suite à la couverture du procès d’Adolf Eichmann pour le compte du New Yorker. Philosophe juive d’origine allemande et réfugiée aux Etats-Unis, Arendt est surprise de découvrir que l’accusé n’est pas une personnalité affirmée, un méchant comme on en croise dans les tragédies shakespeariennes (Iago, Macbeth ou Richard III) et qui érige le mal en principe. L’un des principaux responsables d’un crime contre l’humanité sans précédent dans l’histoire se trouve être quelqu’un de banal et d’insignifiant, qui affirme n’avoir fait qu’obéir à la loi. 

Adolf Eichmann était un criminel de guerre nazi, haut fonctionnaire du Troisième Reich, responsable de la logistique de la solution finale. Il organisa méticuleusement la déportation des victimes du régime nazi dans les camps de concentration et d’extermination. Arrêté en Argentine dans les années 60, il sera jugé puis condamné à mort en Israël. Selon Hannah Arendt, il aurait abandonné son pouvoir de penser pour se conformer aux ordres et aurait ainsi nié la capacité humaine de faire la distinction entre le bien et le mal, c’est-à-dire de former des jugements moraux. Ce n’est donc pas sa méchanceté qui est en cause, mais davantage sa médiocrité, ce qui explique l'expression utilisée dans le sous titre du rapport : "la banalité du mal".

mercredi 19 octobre 2016

"Nos devoirs - ce sont les droits que les autres ont sur nous"

Commentaire

Aurore (1881) est l'un des premiers ouvrages de Friedrich Nietzsche (1844-1900) portant sur la morale. Il contient en tout cinq livres : le premier est une critique du christianisme, le deuxième vise la morale, le troisième s'en prend à la vie publique, le quatrième repose autrement les questions de la métaphysique et le cinquième propose une vision nietzschéenne de la morale reposant sur l'exaltation du dépassement de soi et de la prise de risque. 

Le passage ci-dessous se trouve au livre II. Il s'agit, plus précisément, du début du §112 intitulé "Pour l'histoire naturelle du devoir et du droit". L'histoire naturelle consiste en une observation et une description systématique de la nature. Elle est apparue dans l'Antiquité notamment sous la plume d'Aristote et de Pline. L'enjeu pour Nietzsche consiste donc à décrire le devoir et le droit comme le ferait un naturaliste : remonter à la racine du devoir pour expliquer ce qu'il est essentiellement. Il va ainsi être amené à le comprendre dans un système plus global d'échange de droits-devoirs où la notion de pouvoir joue un rôle déterminant.

dimanche 16 octobre 2016

"Même chez l'homme prétendu normal, la domination du soi par le Moi ne peut dépasser certaines limites"

Commentaire

Le Malaise dans la civilisation (1929) est un texte de Sigmund Freud (1856-1939) qui décrit la manière dont la société parvient à faire renoncer l'individu à ses instincts. Freud diagnostique un mal qui ronge la culture constituée par le processus de civilisation (c'est-à-dire l'ensemble d'institutions que sont le mariage, la religion, la morale, la politique, etc.) : la répression sociale des pulsions qu'elle produit rend le bonheur impossible. La conséquence est que l'homme sera toujours malheureux en société. Or les pulsions comme l'agressivité sont inhérentes à la nature humaine et on ne saurait les combattre par l'éthique et le devoir sans générer en retour un malaise.

Le texte ci-dessous est extrait du VIIIe et dernier chapitre du livre. Après avoir envisagé la question du bonheur, en soulignant que la vie était orientée par le principe de plaisir mais que chaque individu avait à trouver sa voie propre pour y parvenir, Freud montre que le point commun de tous les faits de culture consiste à imposer des exigences qui visent essentiellement à modifier les instincts des hommes (chapitre I à III). Cette modification se fait à travers la culture et consiste, pour le malheur des hommes, en la répression des pulsions, notamment sexuelles, et en la canalisation de l'agressivité (chapitre IV-VI). Elle conduit ainsi au développement d'un sentiment de culpabilité, à la fois chez l'individu et chez l'espèce, qui aboutit à un état de malheur continuel, un malaise dans la civilisation (chapitre VII). Le chapitre VIII sert de conclusion à l'ensemble de l'ouvrage.

vendredi 14 octobre 2016

"Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle"

Commentaire

Dans les Fondements de la métaphysique des moeurs (1785), Emmanuel Kant (1724-1804) établit les fondations d'une connaissance a priori, c'est-à-dire avant toute expérience, des conditions d'un acte moral. Pour Kant, le devoir ne peut pas être appréhendé de manière empirique. Il n'est pas possible d'étudier plusieurs cas pour en extraire le trait caractéristique moral qui leur serait commun à tous. Il faut penser la morale à partir de l'idéal de moralité que nous portons chacun en nous, donc à partir de la raison. Or parce qu'il est un être raisonnable, l'homme est doué de volonté : la volonté est une capacité d'agir selon des règles et, grâce à elle, il a la capacité de vouloir autre chose que ce que ses passions lui dictent.

Le texte ci-dessous est extrait de la Deuxième section qui s'intitule : "Passage de la philosophie morale populaire à la Métaphysique des moeurs". Cette section remonte du concept de devoir pour arriver à son fondement a priori. Le passage étudié porte sur la distinction entre impératif catégorique et impératifs hypothétiques. La volonté de l'homme peut se déterminer soit d'après des règles subjectives, ce que Kant appelle des maximes, soit d'après des règles objectives, autrement dit des lois. Comme l'homme est animé par des passions, ses règles d'action peuvent être orientées par ses penchants. Les lois de la raison vont ainsi apparaître à la volonté comme des impératifs.

mercredi 12 octobre 2016

"Le devoir est la nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi"

Commentaire

Les Fondements de la métaphysique des moeurs (1785) constituent la recherche et l'établissement du principe de la philosophie morale d'Emmanuel Kant (1724-1804). Le point de départ de Kant est ce qu'il appelle la bonne volonté. Elle renvoie à une volonté qui est bonne en elle-même, indépendamment de l'expérience sensible et qui est une volonté d'agir par devoir. Ce que l'on considère ordinairement comme des vertus morales (l'intelligence, la prudence, la maîtrise de soi, le courage, etc.) ne sont pas des choses bonnes absolument pour Kant (il donne comme argument que le sans-froid d'un scélérat le rend plus dangereux et plus détestable moralement). Son idée principale est que la bonté de la volonté ne réside ni dans les succès, ni dans l'aptitude à atteindre un certain but, mais dans la nature même du vouloir. L'analyse du concept de devoir permet d'éclairer ce qu'est cette bonne volonté.

Le texte ci-dessous est extrait de la Première section des Fondements intitulée "Passage de la connaissance rationnelle commune de la moralité à la connaissance philosophique". Il s'agit pour Kant de procéder de manière analytique : il part de la connaissance commune pour parvenir à la détermination de ce qui en est le principe suprême (la manière synthétique étant la démarche inverse consistant à repartir de l'examen de ce principe pour revenir à la connaissance commune où il s'applique, ce qu'il fait dans la Troisième section). Il expose ici une définition du devoir qui est la conséquence de deux principes qu'il a posés plus haut dans le texte  :
  • une action n'a de valeur morale que si elle est conforme au devoir, mais aussi et surtout si elle est accomplie par devoir : un marchand loyal avec ses clients agit conformément au devoir, mais pas forcément par devoir, il peut avoir en vue son intérêt bien compris ; agir par devoir, c'est être désintéressé ; la valeur morale de l'acte est dans l'intention ;
  • une action accomplie par devoir ne tire pas sa moralité du but à atteindre, mais de la maxime d'après laquelle elle est décidée : un marchand est moral parce qu'il est honnête par devoir et non pas parce qu'il est intéressé ; la moralité de l'action par devoir ne dépend pas des buts poursuivis ; la valeur morale de l'acte est dans l'intention abstraction faite du but poursuivi. 

vendredi 7 octobre 2016

"Fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il est possible"

Commentaire

Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), aussi appelé "Second Discours" pour le distinguer de celui portant sur les sciences et les arts, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) poursuit sa réflexion sur la source des inégalités sociales présentes dans la société d'Ancien Régime. A partir de son analyse de l'état de nature, il estime qu'il existe en tout homme un sentiment naturel qu'il appelle "pitié" et qui porte chacun à éprouver une répugnance à voir souffrir autrui. Cette conception repose sur une théorie de la nature humaine conçue comme essentiellement bonne, le sentiment du devoir venant d'une répulsion innée pour le mal. 

Peu avant ce texte qui se trouve dans la "Première partie" du Second Discours, Rousseau donne quelques exemples de la pitié qu'il juge commune aux hommes et aux animaux : la tendresse des mères pour leurs petits, la répugnance des chevaux à fouler aux pieds un corps vivant ou encore les mugissements du bétail que l'on conduit à l'abattoir. Il critique également la morale propre à l'état social qu'il juge trop rationalisante et loue la pitié, qui est un pur mouvement de la nature, antérieure à toute réflexion. Enfin, il rend hommage à Bernard Mandeville, auteur de La Fable des abeilles (1714) pour avoir vu qu'une morale reposant uniquement sur la raison rends les hommes monstrueux, mais il regrette qu'il n'en ait pas tiré toutes les conséquences : c'est de la pitié que procède toutes les autres vertus sociales telles que la générosité, la clémence, l'humanité, la bienveillance ou l'amitié.

lundi 3 octobre 2016

Cours - La liberté

Introduction

Dans la représentation ordinaire, la liberté se trouve souvent associée à l'idée de pouvoir faire tout ce que l'on veut. En ce sens, elle peut être comprise comme le contraire de l'idée de contrainte qui est, précisément, faire ce que l'on ne veut pas. Le mot liberté vient du latin liber qui signifie "de condition non esclave, affranchi" : dans l'Antiquité, l'homme libre est celui qui n'est pas contraint au travail par son maître. La liberté suppose donc un état d'indépendance et d'autonomie par rapport à quelqu'un ou quelque chose. Mais on pourrait se demander justement si une personne qui fait tout ce qu'il veut, réalisant tous ses désirs, est vraiment libre. N'est-elle pas finalement l'esclave de ses désirs ?

Tout d'abord, une telle liberté sous-entendrait une absence totale d'obstacles, ce qui n'est pas compatible avec la condition humaine. En effet, celle-ci est telle qu'elle n'est jamais complètement libre mais doit faire face à des contraintes de toute sorte : biologiques, historiques, sociales ou psychologiques. Bref, on ne fait jamais absolument ce que l'on veut. En outre, cette liberté ferait complètement fi d'autrui. Or autrui aussi dispose de désirs et souhaite les réaliser. La difficulté est que les désirs des hommes sont souvent contradictoires. Enfin et surtout, l'homme est certes un être de désir, mais pas seulement : il est aussi doué de raison. C'est cette raison qui le rend capable de comprendre que la réalisation de tous ses désirs n'est non seulement pas possible, mais en outre pas souhaitable, car elle reviendrait à ne plus tenir compte d'autrui et de son propre désir.

samedi 1 octobre 2016

"L'homme est condamné à être libre"

Commentaire

L'existentialisme est un humanisme (1946) est le texte d'une conférence prononcée par Jean-Paul Sartre (1905-1980) où il entreprend de répondre à ses détracteurs et d'expliciter dans un langage accessible ses principales conceptions philosophiques. L'existentialisme est une doctrine qui prend comme point de départ l'existence concrète. Il existe un existentialisme chrétien qui estime que l'individu ne s'affirme que dans la foi (Kierkegaard). L'existentialisme de Sartre est, lui, athée, c'est-à-dire qu'il refuse Dieu et ne reconnaît que la réalité subjective. L'homme est un sujet qui se place plus haut en dignité que tout autre objet parce qu'il est doué de conscience. Or ce sujet a conscience de son existence, c'est-à-dire du fait qu'il se trouve jeté dans le monde (existence vient du latin ex-sistere qui signifie "se tenir hors de") il lui appartient de construire sa propre figure. 

Le texte ci-dessous revient sur la question de la liberté humaine que Sartre pense comme absolue. Il est, en effet, impossible de lui échapper : même lorsqu'on s'abstient de choisir, on réalise encore un choix. Peu avant dans la conférence, il a expliqué que l'homme n'était rien d'autre que son projet, qu'il n'existait que dans la mesure où il se réalisait. Ce qu'il est, son essence, est constituée de l'ensemble de ces actes. Elle n'est complète qu'une fois sa vie achevée. En outre, l'homme n'est pas fait par les circonstances dans lesquelles il se trouve, l'affirmer revient à être de mauvaise foi, car l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Seule compte la réalité, les rêves sont des projets qui définissent l'homme en négatif et il ne se définit en positif que par ce qu'il entreprend.