mercredi 28 septembre 2016

"La liberté transcendantale est opposée à la loi de causalité"

Commentaire

La Critique de la raison pure (1781) est un ouvrage d'Emmanuel Kant (1724-1804) qui se présente comme la détermination de l'usage légitime de la raison pour accroître la connaissance, notamment dans le domaine de la métaphysique (discipline qui étudie des objets de pensée qui dépassent notre expérience possible, en l'occurrence pour Kant : l'âme, le monde et Dieu). Il s'agit en effet de déterminer les frontières à l'intérieur desquelles nous sommes capables d'atteindre une certitude indubitable et au-delà desquelles nos connaissances sont illusoires. Après avoir montré que la connaissance consistait à unir les intuitions sensibles que donne l'expérience avec les catégories de l'entendement, il entreprend plus directement la critique de la métaphysique.

Le texte ci-dessous est extrait de "La Dialectique transcendantale". Dans "L'Esthétique transcendantale", Kant a établi l'existence de deux formes d'intuition pure qui sont la source de toute expérience possible : l'espace et le temps. Il a ensuite opéré dans "L'Analytique transcendantale" la déduction transcendantale des jugements et établi la possibilité de jugements synthétiques a priori (c'est-à-dire la possibilité de jugements qui associent une intuition pure à une catégorie de l'entendement avant l'expérience sensible). Il en vient ainsi au troisième grand moment de la Critique : celui qui s'intéresse aux erreurs que commet la raison lorsqu'elle s'affranchit de toute expérience. Il détecte ainsi quatre antinomies : la finitude du monde, l'existence d'une entité simple indivisible, la liberté et l'existence de Dieu. C'est de la troisième antinomie dont il est question ici. 

mardi 27 septembre 2016

"L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté"

Commentaire

Du contrat social (1762) de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est l'occasion d'examiner le fondement de la société : "l'acte par lequel un peuple est un peuple" (I, 5). Cet acte se matérialise par un contrat au moyen duquel les hommes passent de l'état de nature à la société civile. Mais pour cela, il faut qu'ils acceptent librement de renoncer à leur liberté naturelle, qui est une liberté toute-puissante, afin d'acquérir une liberté civile, plus mesurée, rationnelle et encadrée par les limites du droit. Par le passé, les pactes sociaux se sont réalisés au détriment de la liberté notamment afin d'assurer la sécurité (par exemple chez Hobbes). L'enjeu pour Rousseau est de parvenir à conserver cette liberté fondamentale, mais sous une autre forme.

Le texte ci-dessous constitue un chapitre intitulé "De l'état civil" (I, 8). Il s'agit d'insister sur l'intérêt qu'il existe à échanger la liberté naturelle que l'on possède à l'état de nature contre la liberté civile ou conventionnelle qui résulte de la passation d'un contrat social avec les autres hommes. L'objectif est de faire en sorte qu'ils ne soient plus contraints d'obéir à la volonté arbitraire de l'un d'entre eux. La solution consiste pour eux à se donner des lois qui résultent de leur propre volonté, à la fois générale et fondée sur la raison. Ainsi ils ne feront qu'obéir à eux-mêmes et la contrainte (qui suppose la force) aura été remplacée par l'obligation (qui est l'obéissance à la loi).

samedi 24 septembre 2016

"Il faut faire la distinction entre ce qui est certain et ce qui est nécessaire"

Commentaire

Le Discours de Métaphysique (1686) est une oeuvre de Leibniz (1646-1716) qui constitue une première ébauche de son système philosophique. Son point de départ est la perfection de Dieu et de sa création. Dieu a ensuite conçu des êtres individuels concrets qui correspondent à une vue possible sur l'univers. Ces êtres sont ce que Leibniz appelle des substances. Dans son système, elles contiennent tout ce qui leur arrivera. Il les appellera plus tard dans son oeuvre des monades (du grec monas qui signifie "unité"), unités d'être composant l'univers dans lesquelles rien n'entre de l'extérieur. Dieu est la monade des monades. Aussi curieux que cela puisse paraître, les monades n'interagissent pas entre elles. Il n'y a pas d'action directe d'une monade sur une autre. Dieu a établi une harmonie en prévoyant l'enchaînement des différents changements vécus par chaque monade de manière à ce que chacune reste indépendante vis-à-vis des autres et ne fasse que se déployer dans le temps par son concours.

Le texte ci-dessous constitue le § 13 du Discours. Il y est question de la liberté humaine. Dans le système leibnizien, celle-ci est problématique dans la mesure où Dieu ayant par avance déjà tout prévu, il devient difficile d'échapper au fatalisme, conception selon laquelle le cours de l'histoire échappe à la volonté humaine. Or Leibniz défend justement l'idée que l'homme reste malgré tout doté d'un libre-arbitre. Au § 8, Leibniz a expliqué qu'un sujet (Alexandre le Grand) contenait l'ensemble de ses prédicats (ce que l'on peut dire de lui : par exemple, roi), mais a précisé toutefois que Dieu seul pouvait les connaître tous. La solution à ce problème de la liberté va résider essentiellement dans le point de vue adopté sur la connexion des événements entre eux.

mercredi 21 septembre 2016

Leibniz - Discours de métaphysique (1686)

Le Discours de Métaphysique (1686) est une oeuvre de Leibniz (1646-1716) où ce dernier réalise une première ébauche de son système philosophique. Son point de départ est la perfection de Dieu. Il estime ensuite que les substances contiennent en elles tout ce qui leur arrivera. Par substance, il faut entendre un être individuel concret et complet qui répond à un point de vue possible sur l'univers et que Dieu a choisi de créer parmi l'ensemble des êtres possibles. L'âme est son principe d'unité qui lui permet de demeurer la même à travers le temps. La création divine obéit au principe d'harmonie générale de l'univers selon lequel Dieu choisit le meilleur des mondes possibles. Il permet le péché dans la mesure où l'homme, être borné, est imparfait, mais aussi parce que le mal est nécessaire pour une plus grande perfection de l'ensemble.

jeudi 15 septembre 2016

"Le plus bas degré de la liberté"

Commentaire

La Lettre au P. Mesland datée du 9 février 1645 fait suite aux questions que pose la publication des Méditations métaphysiques concernant le point de la liberté et, plus précisément, l'affirmation cartésienne que l'indifférence en constitue le degré le plus bas. Dans la IVe Méditation, Descartes écrit en effet que "cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt apparaître un défaut dans la connaissance, qu'une perfection dans la volonté". Il existe ainsi des degrés de liberté, cette dernière étant d'autant plus grande qu'elle conduit à choisir "ce qui est vrai et ce qui est bon" (Pléiade, p. 305).

Le texte ci-dessous reproduit intégralement cette lettre. Il importe de noter que Descartes ne nie pas l'existence de la liberté, elle lui apparaît comme un fait. En revanche, la définition de la liberté apparaît plus problématique. S'il la pose en terme d'indifférence, c'est qu'il s'inscrit dans la continuité d'un débat théologique inauguré par Augustin (354-430 ap. J.-C.) concernant l'existence du libre-arbitre. Pour certains théologiens comme Luis de Molina (1535-1600), être libre, c'est être indifférent. L'originalité de Descartes réside dans l'optique qu'il prend pour analyser la liberté : il ne se place pas sur un plan théologique comme c'était le cas à son époque (l'idée étant de concilier l'idée de liberté avec la prescience divine), mais il l'envisage par rapport à l'action pratique (comment se détermine la volonté).

mercredi 14 septembre 2016

"Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature"

Commentaire

Le Manuel (v. 130) est un recueil de pensées composé par Arrien de Nicomédie, à partir de l'enseignement de son maître Epictète (50-130 ap. J.-C.). Epictète se rattache au stoïcisme tardif, c'est-à-dire celui de l'époque impériale romaine, incarné, entre autres, par Sénèque et Marc-Aurèle. La philosophie stoïcienne naît avec Zénon de Cittium (335-264 av. J.-C.). Elle prend son nom de l'endroit où Zénon réalisait son enseignement, sous un portique, et qui se dit en grec stoa. Ce courant de pensée associe une croyance dans l'existence d'une providence (tout ce qui arrive ne peut qu'être bon car inscrit dans la perfection de la nature) avec une liberté pensée d'abord et avant tout comme capacité d'agir sur soi.

Le texte ci-dessous se trouve au tout début du Manuel. Dans ces 6 premiers des 53 paragraphes qu'il compte en tout, Epictète établit la première et fondamentale règle de sa morale qui consiste à séparer ce qui dépend de nous de ce qui n'en dépend pas. Epictète est un ancien esclave (épiktétos signifie "esclave, serviteur") que son maître se plaisait à faire souffrir inutilement. C'est peut être la raison pour laquelle il développe ici une philosophie prônant le détachement et la mise à distance des représentations que l'on peut avoir des choses. Il considère que la philosophie peut servir de guide pour mener une vie heureuse et permettre, le cas échéant, la consolation.

dimanche 4 septembre 2016

Cours - L'Etat


Introduction

Au sens premier du terme, sans la majuscule, un état désigne une situation ou une manière d'être. On parle ainsi d'un mauvais état lorsqu'un objet est abimé. Un corps sans vie pourra être en état de décomposition. Pour un individu vivant, on parlera d'un état d'inquiétude ou d'un état de repos pour caractériser sa situation spécifique. Le terme pris dans une expression peut aussi signifier capacité, par exemple lorsqu'on dit que l'on est en état de faire quelque chose, on dispose alors d'un pouvoir d'agir. Mais avec la majuscule, l'Etat renvoie à un sens bien spécifique qui est l'ensemble des structures (législative, exécutive, judiciaire) du pouvoir politique qui sont chargées d’organiser une société.

L'Etat tel que nous le connaissons aujourd'hui a connu de nombreuses évolutions historiques. A l'époque antique, la cité grecque (polis en grec qui donne le mot politique) ou la chose publique latine (res publica en latin qui donne le mot république) renvoient à une forme d'administration sporadique, très liée à la société civile. Elle est assez éloignée de notre bureaucratie moderne où les fonctionnaires constituent une force à part entière. L'idée d'Etat suppose en effet l'existence d'un pouvoir qui vient se placer au-dessus des volontés particulières et qui se distingue de la société qu'il organise. On oppose ainsi régulièrement l'Etat d'où procède le pouvoir et la société sur laquelle il s'exerce. 

jeudi 1 septembre 2016

"Au-dessus de ceux-la s'élève un pouvoir immense et tutélaire"

Commentaire

De la démocratie en Amérique (1835-1840) est un ouvrage paru en deux volumes écrit par Alexis de Tocqueville (1805-1859) suite à un voyage effectué sur le nouveau continent dans les années 1830. Paru en 1835, le premier volume est consacré à la description analytique des institutions américaines. Le second volume, paru cinq ans plus tard, en 1840, étudie l'influence de la démocratie sur les moeurs. Ce livre est l'occasion pour Tocqueville de mettre en garde contre les possibles conséquences négatives du développement d'une passion nouvelle à l'époque, celle de l'égalité, en ce qu'elle conduit les gouvernements à mettre en oeuvre des mesures liberticides.

Le texte ci-dessous est extrait du tome II, partie IV, chapitre VI dont l'objectif est de déterminer l'espèce de despotisme que les nations démocratiques ont à craindre. Dans cette partie IV, Tocqueville a commencé par souligner que l'égalité, en favorisant l'amour de l'indépendance des hommes, leur donnait naturellement le goût des institutions libres et générait une sorte de rejet de l'autorité gouvernementale. Pourtant, il montre dans les chapitres suivants que ce goût de l'indépendance peut dégénérer vers la servitude, notamment parce que les idées des peuples démocratiques en matière de gouvernement sont naturellement favorables à la concentration des pouvoirs (il n'y a plus de corps intermédiaires, une dissémination des pouvoirs comme c'était le cas dans l'aristocratie). Ainsi, le pouvoir souverain tend à s'accroître et risque de conduire à un despotisme doux.