dimanche 31 juillet 2016

Cours - Les échanges

Introduction

Un échange désigne une opération par laquelle on donne un bien contre un autre bien ou contre de la monnaie. Il implique l'idée de réciprocité : on donne une chose contre une autre et les choses échangées sont considérées comme équivalentes. Par exemple, un pays donne un territoire en contrepartie d'un autre. On donne toujours quelque chose en échange de quelque chose d'autre supposée avoir une valeur comparable. En ce sens, l'échange se distingue du don, qui lui semble sans réciprocité, gratuit. 

Mais si l'échange suppose réciprocité, il sous-entend également qu'il procure un avantage à celui qui échange. En effet, pour qu'il y ait échange, il faut toujours un intérêt à l'échange et donc l'idée en arrière plan d'un avantage. La valeur d'échange se distingue ainsi de la valeur d'usage : l'utilité que j'ai d'un bien n'est pas toujours égale à ce que d'autres seraient prêts à donner pour l'acquérir. Si j'ai trois manteaux et pas de chaussures, j'ai intérêt à échanger un manteau contre une paire de chaussure avec quelqu'un qui a trois paires de chaussures et pas de manteau. Nous avons tous deux intérêt à l'échange parce que nous n'accordons pas la même valeur d'usage à ce que nous échangeons. 

vendredi 29 juillet 2016

"La prohibition de l'inceste n'est instaurée que pour garantir et fonder un échange"

Commentaire

Les Structures élémentaires de la parenté (1949) constitue la thèse de doctorat de Claude Lévi-Strauss (1908-2009). Dans cet ouvrage, il analyse la prohibition de l'inceste, c'est-à-dire l'interdiction d'entretenir des relations sexuelles avec ses parents proches et voit en cette règle la structure fondamentale propre à toute société. Sur le plan ethnologique, il s'agit effectivement d'un fait universel. Mais, en outre, cette règle marque la démarcation entre les faits de nature et les faits de culture car, à travers elle, s'organise le passage de la parenté comme donné biologique à l'union qui relève du choix et du rapport à autrui. Elle se situe ainsi au croisement de l'existence biologique et de l'existence sociale de l'homme.

Le texte ci-dessous se trouve à la fin du chapitre IV de l'ouvrage. Lévi-Strauss a montré que cette règle de la prohibition de l'inceste dispose de frontières fluctuantes selon les cultures, mais reste identifiable formellement dans toute société. Elle est marquée pour une part par la biologie, la nécessité de l'union des sexes pour assurer la reproduction, mais témoigne aussi d'une indifférence de la nature quant aux choix des alliances et des partenaires. Autrement dit, il s'agit d'une forme vide qui, chez l'homme, est investie d'un contenu culturel venant définir des interdits. Mais elle n'est ni purement culturelle, ni purement naturelle. Elle comprend un dosage d'éléments composites emprunté à la nature et à la culture. 

mercredi 27 juillet 2016

"On ne constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens"

Commentaire

L'Essai sur le don (1926) de l'anthropologue Marcel Mauss (1872-1950) est sous-titré Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. Dans cet ouvrage, il s'agit principalement pour le neveu et disciple du sociologue Emile Durkheim, de montrer que les phénomènes économiques s'insèrent dans une logique plus globale que celle qui régit les échanges marchands et que cette logique ne se réduit pas à celle du calcul d'intérêt mercantile. En étudiant les sociétés archaïques (au sens étymologique du terme : arkhê en grec désigne "le principe"), Mauss montre que les échanges ont une nature éminemment sociale et qu'ils proviennent d'un système complexe de don et contre-don.

Le texte ci-dessous est extrait de l'introduction de l'essai. Mauss explique que dans de nombreuses sociétés, les échanges prennent la forme de cadeaux qui apparaissent comme volontaires d'un point de vue théorique, mais qui sont en réalité faits et rendus de manière obligatoire. Ces échanges constituent des phénomènes sociaux totaux, c'est-à-dire qu'ils sous-tendent et que s'y expriment toutes sortes d'institutions tels que la religion, le droit, la morale, la politique, la famille ou l'économie. Il s'intéresse plus particulièrement à ce caractère du don qui implique qu'il soit obligatoirement rendu. Il interroge les forces à l'oeuvre qui obligent le donataire à rendre le don sous forme d'un contre-don.

mardi 26 juillet 2016

"L'argent est la force chimique universelle de la société"

Commentaire 

Les Manuscrits de 1844 sont un ensemble de textes de jeunesse rédigés par Karl Marx (1818-1883) à l'occasion de l'un de ses séjours à Paris. Il comporte trois manuscrits : le premier porte sur le salaire, le profit du capital et le travail aliéné, le deuxième s'attache à décrire l'opposition du capital et du travail, le troisième s'intéresse, quant à lui, à la propriété privée, à la division du travail, au pouvoir de l'argent et à la phénoménologie hégélienne. 

Le texte ci-dessous est extrait du troisième manuscrit et, plus précisément, d'une partie traitant du pouvoir de l'argent dans la société bourgeoise. L'argent engendre une fascination chez les hommes. Il a pour qualité de pouvoir presque tout acheter et tend donc à passer pour tout puissant à leurs yeux. Marx s'interroge sur l'essence de l'argent et cherche à déterminer l'origine de son pouvoir. Pour cela, il mobilise deux extraits d'oeuvre théâtrale : Faust de Goethe et Timon d'Athènes de Shakespeare. 

vendredi 22 juillet 2016

"Donnez-moi ce dont j’ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin"

Commentaire


De la richesse des nations (1776) est un ouvrage fondamental du philosophe et père de l'économie moderne Adam Smith (1723-1790). Il constitue une rupture fondamentale avec la conception hobbésienne d'un état de nature conçu comme état de guerre. Smith analyse la situation initiale de l'homme comme étant celle du marchand. Dans son optique, les relations d'échange sont premières et régies par le marché où se rencontrent l'offre et la demande autour d'un prix. Ainsi, tant que la concurrence s'exerce librement, le marché est un lieu pacifié où s'ordonne l'interdépendance des individus bien comprise des individus parce qu'ils ont besoin les uns des autres.

Le texte ci-dessous se trouve au début du livre I, chapitre II qui porte, plus précisément, sur le principe rendant possible la division du travail : l'échange. La division du travail consiste en la séparation des tâches composant le processus de production afin de permettre à l'ouvrier de gagner en habilité, en temps et de favoriser l'accomplissement de tâches simples par des machines. Elle est évoquée au début de la Richesse des nations à travers l'exemple célèbre de la manufacture d'épingles (I, 1). L'échange en constitue le principe car Smith définit l'homme comme étant incapable de subvenir seul à ses besoins : il a naturellement besoin des autres pour vivre. Mais en outre, la somme de ces échanges est spontanément harmonieuse : chacun en recherchant son intérêt propre se trouve conduit par une "main invisible" et remplit ainsi une fin "qui n'entre nullement dans son intention" (Richesse des nations, IV, 2). En échangeant, sans s'en rendre compte, l'homme fait société.

dimanche 10 juillet 2016

“Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d’homme”

Commentaire

Du Contrat social (1762), sous-titré Principes du droit politique, est une oeuvre majeure de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Contrairement à Aristote, Rousseau pense que l'état social n'est pas un état naturel à l'homme, mais qu'avec le temps, il est devenu inévitable. Il va donc rechercher les règles d'un contrat social permettant de préserver la liberté caractéristique de l'état de nature. Son entreprise est normative : il explique non pas le fonctionnement des institutions politiques, mais décrit ce que doit être l'Etat pour que le pouvoir s'exerce de façon légitime, donc conforme au droit. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre I, chapitre IV qui porte sur l'esclavage. Au début de ce chapitre, Rousseau part du principe qu'aucun homme n'a d'autorité naturelle sur son semblable et que la force ne peut produire aucun droit. Le seul moyen pour que les hommes s'obligent entre eux est donc de recourir à une convention afin d'instituer un Etat. Rousseau est un théoricien du contrat ou contractualiste : les hommes vivent en société après avoir établi entre eux un contrat réglant le vivre ensemble. Cependant, à la différence de ses prédécesseurs qui s'inscrivent dans ce courant, il estime que la liberté ne peut pas faire l'objet d'un échange. 

mercredi 6 juillet 2016

"Chacune des choses dont nous sommes propriétaires est susceptible de deux usages différents"

Commentaire

La Politique (ou Les Politiques) est un traité composé de huit livres que l'on doit à Aristote (384-322 av. J.-C.). La réflexion d'Aristote porte sur la polis, c'est-à-dire la cité en grec. Il s'agit pour lui de l'une des formes les plus élaborées de société permettant aux hommes de parvenir à la vie bienheureuse. En I, 2, Aristote a défini l'homme comme un "animal politique" : seul être parmi les animaux à disposer de la raison et du langage, il n'est véritablement lui-même que lorsqu'il s'associe et discute avec ses semblables au meilleur moyen de parvenir au souverain bien : le bonheur. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre I, chapitre 9 qui porte sur la chrématistique et la monnaie. La chrématistique est la partie de l'économie qui s'intéresse à la production des richesses. Aristote commence par distinguer la valeur d'échange et la valeur d'usage des choses, puis il critique ceux qui accordent à la valeur d'échange une importance telle qu'ils en oublient la valeur d'usage des biens qui sont échangés. L'échange ne doit pas être une fin en soi, de même que la monnaie qui n'est qu'un moyen de le réaliser.

dimanche 3 juillet 2016

Cours - La société

Introduction

La société désigne un groupe de personnes qui s'unit en vue d'un intérêt commun. Par exemple, les entreprises sont des sociétés créées dans un but industriel ou commercial, les partis politiques oeuvrent, comme leur nom l'indique, dans un but politique, quant aux associations, elles ont généralement des objectifs caritatifs. En ce sens, la société est comprise comme un synonyme d'association, acception que son étymologie latine vient souligner : "association" se dit en latin societas et vient de socius qui désigne "le compagnon, l'associé, l'allié".

Mais la société est aussi, plus généralement, une communauté d'individus qui partagent ensemble un certain nombre de biens et de valeurs. On parle ainsi, par exemple, de la société française. Les individus qui la composent sont reliés par ce qu'on appelle le lien social. Il s'incarne à travers le temps dans des institutions qui assurent l'existence et la permanence de la société (l'école, l'Etat, les lois). Or s'il est loisible à chacun de s'associer ou non, il semble plus difficile d'échapper à la société prise en ce deuxième sens. En effet, les marginaux eux-mêmes sont moins ceux qui vivent en dehors de la société qu'à sa marge, donc encore à l'intérieur.

samedi 2 juillet 2016

"Dans les pays démocratiques, la science de l'association est la science mère"

Commentaire

De la Démocratie en Amérique (1835-40) est un ouvrage d'Alexis de Tocqueville (1805-1859) paru en deux tomes avec cinq ans d'écart. Il est le fruit d'un voyage en Amérique réalisé alors qu'il était magistrat et dans le cadre d'une étude sur le système pénitentiaire américain. Le premier tome est consacré à la description des institutions américaines et le second à l'influence de la démocratie sur les moeurs. C'est notamment dans ce premier dernier tome qu'il emploie le célèbre concept de "tyrannie de la majorité" (I, 2, VII) qu'il décrit comme l'un des écueils de la démocratie. Cette forme de tyrannie se produit lorsqu'une minorité se retrouve opprimée par la majorité, d'où la nécessité de lui reconnaître certains droits à afin de la protéger. 

Le texte ci-dessous est extrait du tome II, partie 2, chapitre V (II, 2, V). Tocqueville s'intéresse plus particulièrement aux vertus de l'association dans la démocratie. Au début de cette deuxième partie, il souligne que le despotisme et l'individualisme sont les deux maux principaux qu'ont à craindre les démocraties. Chacun étant incité à se replier sur la sphère privée à mesure que l'égalité s'accroît, il détecte là un possible danger pour la participation politique. Mais dans ce chapitre V, Tocqueville fait part de son étonnement devant la multiplicité des associations que l'on trouve en Amérique. Ce dynamisme associatif apparaît selon lui comme l'un des remèdes possibles aux maux de la démocratie qu'il a identifié.