jeudi 22 mai 2008

Le Contre-discours de mai de François Cusset

Ce Contre-discours de mai, publié aux éditions Actes Sud, est un livre d’humeur qui prend à contre-pied les discours des embaumeurs (Cohn-Bendit, Geismar) et des fossoyeurs (Sarkozy, Ferry) de mai 68. En s’accaparant le monopole de la discussion sur cette révolte, ils empêchent les vrais héritiers de mai 68 de se reconnaître dans cet authentique mouvement politique. La thèse principale du livre est qu’en discourant à tort et à travers sur les événements de mai, on en oublie l’effectivité politique. On prive ainsi les insurgés de l’aliment qui faisait la vigueur de leur soulèvement. C’est par une analyse furtive et surtout, un replacement de l’esprit de mai dans sa dimension événementielle et actuelle, que Cusset espère permettre une inscription des nouvelles luttes politiques, à la fois en rupture et en continuité avec mai 68 (il parle d’homologie structurale entre mai 68 et les nouveaux collectifs comme Act up ou ATTAC).

L’ouvrage s’ouvre sur un paradoxe : mai 68 a été un moment où les dimensions incompatibles de toute une génération se sont fondues dans un même élan. On a ensuite beaucoup insisté sur la fugacité de ce mouvement et son manque d’intérêt pour la prise du pouvoir. Or cet argument a surtout servi à le banaliser et à le dépolitiser. Pour retrouver la vérité de mai 68, il faut gratter le trop connu, éviter les commentaires qui normalisent, car derrière se trouve l’audace intacte de ce qui a surgi. Il suffit selon Cusset de « faire confiance à l’événement : de ne pas réduire son pouvoir de surprise, aux signifiant figés de l’histoire automatique », p. 17.

L’auteur précise qu’il n’a pas vécu directement mai 68, tout juste a-t-il le même âge que cet événement. Mais il a été déçu par le désenchantement et la haine développés à l’encontre de ce mouvement, contre « cette vieille figure bordélique du Désir collectif », p. 20. Il y a en France une peur vis-à-vis de mai 68, une peur de sa diffusion énigmatique. Ainsi Cusset remarque une certaine unanimité pour liquider mai 68. Des gens aussi divers que Mitterrand, Aron, Cohn-Bendit ou Ferry ont finalement tous eu des visions réductrices de ce mouvement. Bref, à gauche, comme à droite : « tous d’accord, en somme, et depuis le début », p. 22.

Cusset donne en vrac plusieurs enjeux à son livre, nous retiendront ici les lignes essentielles. Il s’agit pour lui de redonner à mai 68 sa force d’irruption, d’affirmer que la prise de parole peut aussi être une puissance d’agir, qu’on peut lier l’existence et la politique, que les luttes mineures sont plus longues que les batailles officielles, que l’égalité se conjugue seulement au présent, que mai 68 n’a jamais été intégré dans les mœurs de la société française et qu’une contre-révolution n’a en fait jamais cessé d’être rongée de l’intérieur par le vers du refus.

La récupération de mai 68 s’est faite dès le début. L’idée n’est donc pas de proposer une énième interprétation du phénomène. Mais derrière les évidences qui se sont développées, l’ambition est de montrer que mai 68 n’est pas un phénomène que l’on peut embaumer : selon Cusset, mai 68 ne fait que commencer. Autrement dit, alors que Nicolas Sarkozy cherche à liquider 68, aidé en cela par tous les embaumeurs et les fossoyeurs de mai 68, il s’agit d’affirmer que face au pouvoir, la seule solution logique est peut-être de « protester plus pour vivre plus », p. 26.


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